dimanche 1 mai 2016

«L’uranium est un enjeu de puissance pour les industries»

La maîtrise de la technologie nucléaire est un signe de puissance pour une nation. Mais derrière ces industries, militaires ou civiles, il y a un minerai très convoité.
Historiquement, l’Afrique produit une grand part de l’uranium utilisé par les pays occidentaux. La Namibie et le Niger sont les 4e et 5e producteurs mondiaux.
L’industrie nucléaire française utilise par exemple entre 4 000 et 5 000 tonnes d’uranium nigérien par an. Cette exploitation de l’uranium a des implications géopolitiques pour les pays producteurs, et des conséquences sur la santé des mineurs, souvent exposés aux radiations dans des conditions de sécurité minimales. Gabrielle Hecht est professeure d’histoire à l’Université du Michigan, et son ouvrage « Uranium africain, une histoire globale » vient de paraître en français.
Gabrielle Hecht , professeur d’histoire, auteure du livre, « Uranium africain. Une histoire globale ».gabriellehecht.org
RFI : Gabrielle Hecht, à quel moment découvre-t-on de l’uranium en Afrique ?
Gabrielle Hecht : On a découvert de l’uranium en Afrique au début du 20ème siècle dans les mines du radium au Congo et aussi en Afrique du Sud dans les mines d’or.
Est-ce que l’intérêt a été rapide pour le minerai ?
Au début il n’y avait aucune raison d’exploiter l’uranium proprement dit. En fait ce n’est qu’après la Deuxième Guerre mondiale que l’intérêt pour l’uranium africain – ou uranium tout court – s’est vraiment développé.
La mine d’uranium à ciel ouvert de Tamgak à Arlit, exploitée par la Somaïr, une filiale d’Areva. Reuters/Joe Penney
C’est un intérêt qui est lié aux questions militaires principalement ?
Au début oui, c’est lié à la construction de bombes atomiques aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne et puis très rapidement la France aussi, développe un programme d’armement atomique et s’intéresse donc à avoir de l’uranium du Gabon, de Madagascar. Et puis à partir des années 70 du Niger.
A tel point que cet uranium africain devient une source vraiment primordiale pour les industries nucléaires occidentales.
Absolument. Dans n’importe quelle année de la guerre froide entre 20 % et 50 % de l’uranium pour l’industrie nucléaire – militaire ou civile – proviennent de ces sites miniers en Afrique.
Pour la France le nucléaire est fondamental pour la persistance d’une certaine idée de la grandeur, de la puissance du pays, et ça implique après les décolonisations de garder justement la main sur cette ressource, que ce soit au Gabon puis au Niger.
Oui, effectivement, c’est très important pour la France de garder la main sur ces ressources. D’ailleurs elle signe des accords qui sont en partie secrets avec les gouvernements gabonais et nigérien pour assurer leur sécurité en cas de coup d’Etat. Et c’est en partie pour garder la main sur les ressources d’uranium, en partie aussi dans le cas du Gabon pour le pétrole, bien sûr.
L’uranium c’est aussi un atout pour les dirigeants des pays producteurs. Vous racontez notamment comment Omar Bongo a largement bénéficié de l’extraction sur le territoire gabonais.
Je pense que pour Omar Bongo le bénéfice de l’uranium était relativement petit par rapport au pétrole, mais néanmoins c’était un bénéfice pour lui, à la fois du point de vue financier et aussi du point de vue politique.
Par exemple dans les années 70, surtout vers 1973-1974, Bongo voulait absolument que le Gabon fasse partie de l’OPEP. Il avait promis de vendre 500 tonnes d’uranium à l’Iran. Et on a raison de croire qu’il y a un lien entre cette volonté de faire partie de l’OPEP et puis cette promesse de vendre 500 tonnes d’uranium à l’Iran. La vente ne fait pas recette parce que la Révolution iranienne est survenue, mais c’était néanmoins un exemple de la manière dont Bongo voulait utiliser l’uranium comme atout politique.
Est-ce que les prospections continuent sur le continent africain à l’heure actuelle ?
Il y avait des prospections très suivies au Mali avant que la guerre n’éclate là-bas, sinon on parle d’ouvrir une mine d’uranium en Tanzanie. Il y a de nouvelles mines au Malawi et puis en Namibie. En particulier Areva a essayé d’y ouvrir une mine et puis les Chinois bien sûr aussi, essaient de trouver l’uranium au Niger, en Afrique de l’Est… Un petit peu partout en fait.
C’est encore un enjeu de puissance à notre époque ?
Ah oui ! Absolument ! C’est un enjeu de puissance si on regarde la manière dont les Chinois, par exemple, essaient de développer le nucléaire. C’est aussi un enjeu de puissance pour les industries, les grandes sociétés multinationales, etc.
L’une des questions liées, bien sûr, c’est celle du statut des travailleurs dans ces mines d’uranium. Ces travailleurs n’étaient pas considérés comme des travailleurs de la filière nucléaire. C’est-à-dire qu’on ne les a jamais considérés comme étant mis en danger par la matière qu’ils exploitaient.
On traitait les travailleurs dans les mines d’uranium comme des mineurs ordinaires et cela voulait dire tout particulièrement que, même quand on mesurait le niveau d’exposition de rayonnement, on ne transmettait jamais ces mesures aux travailleurs. Les travailleurs eux-mêmes ne savaient donc pas qu’elle était leur exposition au rayonnement. Et par la suite ils ont découvert, effectivement, que ces expositions étaient beaucoup plus fortes dans certains cas que la norme et aussi que les rejets, l’environnement de déchets radioactifs étaient beaucoup plus forts qu’ils ne seraient en France ou dans un autre pays européen. De surcroît on n’a jamais vraiment fait des études systématiques sur leur santé. Ce qui fait qu’ils n’ont pas de moyens d’apporter des preuves sur le lien entre leur travail et leur état de santé aujourd’hui.

http://www.rfi.fr/emission/20160501-uranium-afrique-gabrielle-hecht-historienne-enjeu-puissance-industries

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