lundi 25 mai 2015

Le Sahara, un espace déstabilisé ?

Projet.pcf.fr/, Parti Communiste Français, André Bourgeot
La métaphore du « Sahara-carrefour » illustre ce qu’est devenu ce désert qui n’échappe pas à la mondialisation capitaliste en crise.Le Sahara (As -Sahara al -kobra), qui est le plus vaste désert du monde, est une région écologique anthropisée depuis des millénaires. Aujourd’hui partagé entre des États-Nations, ses évolutions géopolitiques contemporaines, entre dynamiques nationales, post-coloniales et mondiales, doivent être appréhendées dans le contexte des souverainetés nationales, tant il n’est pas une entité politique homogène.
Les enjeux géopolitiques sahariens : repères historiques
Cinq grands repères permettent de décrire les principaux enjeux géopolitiques sahariens au cours du dernier siècle (1912-2012).
1) La politique coloniale s’est édifiée sur le « Plan d’organisation du Sahara » rédigé en 1912 par le R.P. Charles de Foucauld, moine-ermite en Ahaggar (Algérie). Ce plan, qui repose sur une analyse de politique régionale (Sahara central et zone Sahara-Sahel), a contribué à la conception d’un territoire touareg et à l’organisation militaro-administrative du Sahara central qui fut porteuse de la création d’un Sahara français.
2) À la fin de la période coloniale, le Sahara devient l’objet d’intérêts économiques accrus qui résultent de la découverte, en 1956, en Algérie, de deux gisements d’hydrocarbures (Hassi Messaoud et Hassi R’Mel). Ces intérêts se manifestent par la création de l’Organisation commune des régions sahariennes (OCRS) promulguée par la loi du 10 janvier 1957 dont les objectifs étaient :
– d’unifier le Sahara afin de permettre aux capitaux français de prospérer
– de couper l’Algérie du Nord de l’Afrique subsaharienne afin de s’approprier les richesses du sous-sol (pétrole, gaz naturel) et de s’assurer une indépendance énergétique.
– de sauvegarder des zones d’expérimentation nucléaires
– de contrecarrer l’extension du panarabisme et du panislamisme vers l’Afrique noire et de lutter contre le trafic d’armes.
3) Les cycliques rébellions touarègues (1916, 1963-64, 1990-1995, 2006, 2012 [au Mali]), qui se sont toutes développées dans un contexte où le pouvoir étatique était affaibli ou en construction, ont également été au cœur des enjeux géopolitiques sahariens.
Plus à l’ouest, le conflit du Sahara occidental, impliquant le Maroc, l’Algérie, le Front Polisario, mouvement qui lutte pour l’indépendance du Sahara occidental occupé par le Maroc, s’est imposé comme un enjeu de la politique régionale. Il constitue le talon d’Achille de l’Union du Maghreb arabe et contribue à miner son unité, à empêcher toute coopération régionale contre les menaces communes du terrorisme. Ce conflit s’est mué en une lutte d’influence maroco-algérienne.
4) La sanctuarisation de la nébuleuse Al Qaïda avec trois acteurs qui s’envisagent à des échelles différentes : Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) au caractère international ; le Mouvement pour l’Unité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) à la dimension sous régionale ; Ansar Eddin composé d’autochtones, notamment Touaregs, localement circonscrit.
5) Les interventions militaires franco-britanniques et « otanesques » en Libye en 2011 qui débouchèrent, d’une part, sur l’élimination programmée du Colonel M. Kadhafi et sur l’effondrement de la Jamahiriyya et, d’autre part, sur la montée en puissance des forces djihadistes et des milices tribales qui se disputent le pouvoir et le contrôle des ressources extractives.
Elles déstabilisèrent l’ensemble des États saharo-sahéliens, notamment le Mali et le Niger.

Les États saharo-sahéliens dans les enjeux géopolitiques contemporains
À la fin du XXe siècle, les États saharo-sahéliens ont subi les contrecoups de l’effondrement du système soviétique et de la montée en puissance des mouvements djihadistes et de l’adoption par les États-Unis, après les événements du 11 septembre 2001, de la « doctrine Bush », conception stratégique définie par la « guerre globale contre le terrorisme ». Dans le Sahara, elle s’est traduite, en novembre 2002, par la création du Pan Sahel Initiative (PSI) visant à protéger les frontières contre les trafics d’armes, de drogue et les mouvements terroristes internationaux. Les objectifs principaux ont été de former les militaires nationaux au Mali, au Niger, en Mauritanie et au Tchad à la lutte contre le terrorisme et de coordonner les coopérations régionales à l’aide de la technologie américaine. Le PSI céda ensuite la place au Trans Saharan Counter Terrorism Initiative (TSTCI), dont le siège se situe à Ouagadougou.
C’est dans le sillon de ces interventions que s’inscrit la politique africaine française néocolonialiste et notamment l’opération militaire Serval au Mali (janvier 2013-juillet 2014) légalisée par la demande du Président Dioncounda Traoré et destinée à stopper l’avancée des salafistes djihadistes vers le sud. Elle intégrera le dispositif régional intitulé Barkhane qui mobilise 3 000 soldats sur l’ensemble du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Faso, Tchad). Mais cette opération ne visait-elle pas aussi à protéger (par anticipation) les intérêts français dans les pays côtiers, notamment ceux de la multinationale Bolloré sur le port d’Abidjan ? Cette intervention fut accompagnée par l’interposition de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) légitimée par la résolution 2 100 (25 avril 2013) du Conseil de sécurité de l’ONU.
On assiste ainsi à une militarisation de l’espace saharien qui s’apparente à une forme adaptée d’une militarisation de l’économie. C’est là un tournant fondamental, inédit, qui inaugure l’entrée dans le XXIe siècle. À la « guerre politique » du découpage du monde en territoires, succède dès le début des années 2000, une « guerre économique » dont l’objectif principal est le contrôle des ressources énergétiques, notamment le pétrole et l’uranium.
La crise structurelle du capitalisme induit des formes nouvelles de déstabilisation des États-Nations dans la recherche nécessaire de nouveaux marchés, dans la reconfiguration des formes institutionnelles au profit d’une plus grande intégration économique pilotée par les grandes puissances. Ces processus de déstabilisation, voire de destruction, visent en outre les « États contre-hégémoniques » (Algérie, Libye). Il en va ainsi de l’affaiblissement du Mali, qui s’est accompagné de la récurrence et de l’intensification des contestations de l’État central de même que de l’approfondissement des clivages ethniques. La déstabilisation des centres (politiques, économiques, culturels) irait de pair avec la recomposition des territoires nationaux. En ligne de mire, la fin de la centralisation politique autour du modèle de l’État-Nation qui se traduirait par l’émergence de nouvelles formes de pouvoirs locaux et de réorganisation administrative et politique des États, notamment par la fédéralisation des États sahariens, l’ensemble visant à instaurer un nouvel ordre politique et économique dans cet espace saharo-sahélien susceptible d’enrayer et de redynamiser le capitalisme en crise.

*André Bourgeot est anthropologue,http://projet.pcf.fr/70926

  • Le Vieux de la Vieille Garde Saharienne
    « Mali : une guerre peut en cacher une autre » par Thierry Meyssan
    Préparée de longue date et annoncée par François Hollande six mois à l’avance, l’intervention française au Mali a été présentée comme une décision prise en urgence en réponse à des développements dramatiques. Cette mise en scène ne vise pas seulement à s’emparer de l’or et de l’uranium malien, elle ouvre surtout la voie à une déstabilisation de l’Algérie.
    Depuis Nicolas Sarkozy avec Laurent Gbagbo, Mouammar el-Kadhafi et Bachar el-Assad, la diplomatie française pratique le baiser de Judas. Ici le président François Hollande venu à Alger embrasser son homologue Abdelaziz Bouteflika, le 19 décembre 2012. Trois semaines plus tard, il allumera la guerre au Mali pour enflammer l’Algérie.
    « L’appétit vient en mangeant », dit le proverbe. Après avoir recolonisé la Côte d’Ivoire et la Libye, puis tenté de s’emparer de la Syrie, la France lorgne à nouveau sur le Mali pour prendre l’Algérie à revers.
    Durant l’attaque de la Libye, les Français et les Britanniques ont fait un large usage des islamistes pour combattre le pouvoir de Tripoli, les séparatistes de Cyrénaïque n’étant pas intéressés à renverser Mouammar el-Kadhafi une fois Benghazi indépendante. À la chute de la Jamahiriya, j’ai personnellement été témoin de la réception des dirigeants d’AQMI par des membres du Conseil national de transition à l’hôtel Corinthia, qui venait d’être sécurisé par un groupe britannique spécialisé venu exprès d’Irak. Il était évident que la prochaine cible du colonialisme occidental serait l’Algérie et qu’AQMI y jouerait un rôle, mais je ne voyais pas quel conflit pourrait être utilisé pour justifier une ingérence internationale.
    Paris a imaginé un scénario dans lequel la guerre pénètre en Algérie par le Mali.
    Peu avant la prise de Tripoli par l’OTAN, les Français parvinrent à soudoyer et à retourner des groupes Touaregs. Ils eurent le temps de les financer abondamment et de les armer, mais il était déjà bien tard pour qu’ils jouent un rôle sur le terrain. Une fois la guerre finie, ils retournèrent dans leur désert.
    Les Touaregs sont un peuple nomade vivant au Sahara central et sur les bordures du Sahel, soit un vaste espace partagé entre la Libye et l’Algérie, le Mali et le Niger. S’ils ont obtenu la protection des deux premiers Etats, ils ont au contraire été délaissés par les deux derniers. Par conséquent, depuis les années 60, ils n’ont cessé de remettre en question la souveraineté du Mali et du Niger sur leurs terres. Bien logiquement, les groupes armés par la France décidèrent d’utiliser leurs armes pour faire aboutir leurs revendications au Mali. Le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) prend le pouvoir dans presque tout le Nord-Mali où il habite. Cependant, un groupuscule d’islamistes touaregs, Ansar Dine, rattaché à AQMI, en profite pour imposer la charia dans quelques localités.
    Le 21 mars 2012, un étrange coup d’État est perpétré au Mali. Un mystérieux « Comité pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’État » (CNRDRE) renverse le président Amadou Toumani Touré et déclare vouloir restaurer l’autorité malienne au Nord du pays. Il en résulte une grande confusion, les putschistes étant incapables d’expliquer en quoi leur acte améliorera la situation. Le renversement du président est d’autant plus bizarre qu’une élection présidentielle était prévue cinq semaines plus tard et que le président sortant ne se représentait pas. Le CNRDRE est composé par des officiers formés aux États-Unis. Il empêche la tenue de l’élection et transmet le pouvoir à un des candidats, en l’occurrence le francophile Dioncounda Traore. Ce tour de passe-passe est légalisé par la CEDEAO, dont le président n’est autre qu’Alassane Ouattara, mis au pouvoir un an plus tôt par l’armée française en Côte d’Ivoire.
    Le coup d’État accentue la division ethnique du pays. Les unités d’élite de l’armée malienne (formées aux USA) ayant un commandement touareg rejoignent la rébellion avec armes et bagages.
    Le 10 janvier 2013, Ansar Dine —appuyé par d’autres groupes islamistes— attaque la ville de Konna. Il quitte donc le territoire touareg pour étendre la loi islamique au Sud du Mali. Le président de transition Dioncounda Traore décrète l’état d’urgence et appelle la France au secours. Paris intervient dans les heures qui suivent pour empêcher la prise de la capitale, Bamako. Prévoyant, l’Élysée avait pré-positionné au Mali des hommes du 1er Régiment parachutiste d’infanterie de marine (« la coloniale ») et du 13e Régiment de dragons parachutistes, des hélicoptères du COS, trois Mirage 2000D, deux Mirage F-1, trois C135, un C130 Hercule et un C160 Transall.
    En réalité, il est fort peu probable qu’Ansar Dine ait représenté une menace réelle, car la vraie force combattante, ce ne sont pas les islamistes, mais les nationalistes touaregs, lesquels n’ont aucune ambition au Sud du Mali.
    Pour conduire son intervention militaire, la France demande l’aide de nombreux États, dont l’Algérie. Alger est piégé : accepter de collaborer avec l’ancienne puissance coloniale ou prendre le risque d’un reflux des islamistes sur son sol. Après hésitation, il accepte d’ouvrir son espace aérien au transit français. Mais en définitive, un groupe islamiste non identifié attaque un site gazier de British Petroleum au Sud de l’Algérie en accusant Alger de complicité avec Paris dans l’affaire malienne. Une centaine de personnes sont prises en otages, mais pas seulement des Algériens et des Français. Le but est manifestement d’internationaliser le conflit en le transportant en Algérie.
    La technique d’ingérence française est une reprise de celle de l’administration Bush : utiliser des groupes islamistes pour créer des conflits, puis intervenir et s’installer sur place sous prétexte de résoudre les conflits. C’est pourquoi la rhétorique de François Hollande reprend celle de « la guerre au terrorisme », pourtant abandonnée à Washington. On retrouve dans ce jeu les protagonistes habituels : le Qatar a pris des parts dans de grandes sociétés françaises installées au Mali, et l’émir d’Ansar Dine est proche de l’Arabie saoudite.
    Le pyromane-pompier est aussi un apprenti sorcier. La France a décidé de renforcer son dispositif anti-terroriste, le plan Vigipirate. Paris ne craint pas une action des islamistes maliens sur le sol français, mais le reflux des djihadistes de Syrie. En effet, durant deux ans, la DCRI a favorisé le recrutement de jeunes musulmans français pour se battre avec l’ASL contre l’État syrien. Du fait de la débandade de l’ASL, ces djihadistes reviennent actuellement au pays natal où ils pourraient être tentés, par solidarité avec Ansar Dine, d’utiliser les techniques terroristes qu’on leur a appris en Syrie

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