mercredi 19 novembre 2014

Militaires, coups d’État et paradoxes démocratiques

Jeune Afrique-Yann Gwet
Yann Gwet est un entrepreneur et essayiste camerounais. Diplômé de Sciences Po Paris, il vit et travaille au Cameroun.
Les militaires, entend-on dans différents medias africains depuis la chute de Blaise Compaore, ne seraient pas « faits » pour gouverner. Leur priorité devrait donc être derendre le pouvoir à qui de droit, les civils. Dans le cas du Burkina Faso, cela semble être le souhait d’une majorité de la population. Tant mieux. Mais plus généralement, et au-delà des préoccupations constitutionnelles, si l’aptitude au gouvernement n’est pas le produit de quelque déterminisme – elle ne l’est pas -, alors la question de l’exercice du pouvoir par des militaires est un débat légitime. Après tout, exige-t-on des avocats ou des médecins qu’ils renoncent à leur charge pour pouvoir briguer la magistrature suprême ? L’idée que certains, les civils, seraient « faits » (nés ?) pour gouverner et donc, implicitement, que d’autres, dont les militaires, seraient « faits » pour être gouvernés est pour le moins contestable.
Cette conception aristocratique de la démocratie est un héritage détestable de la présence française en Afrique. Sa défense acharnée, notamment par des commentateurs africains dont le fonds de commerce est la dénonciation obsessionnelle de la « Françafrique« , est ironique ; anti-français dans le verbe, francophiles dans la tête ?
Des militaires ont pourtant exercé le pouvoir, en Afrique comme en Occident. Si certains ont déçu, d’autres, certes à des degrés et dans des circonstances divers, – De Gaulle, Churchill, Jerry Rawlings, Amadou Toumani Touré, Thomas Sankara, etc. – ont marqué leur époque. Il n’empêche, les militaires, en Afrique, inspirent une méfiance de principe.
Il faut bien admettre, aussi inconfortable et paradoxal que cela soit, que des coups d’État, en Afrique, ont marqué le début de transformations positives.
Cette méfiance s’explique en partie par l’association des militaires aux coups d’État. Elle révèle un rejet du coup d’État comme mode d’accession au pouvoir. En ce sens, il s’agit d’une méfiance « démocratique », dans son esprit. Cette méfiance est légitime. Mais est-elle toujours justifiée ? Les militaires Jerry Rawlings et Thomas Sankara sont arrivés au pouvoir à la faveur de coups d’État. L’un, Jerry Rawlings, fut un grand leader. L’autre, Thomas Sankara, suscita d’immenses espoirs à travers le continent.
La réalité est plus imaginative que la démocratie. Celle-ci fait ce qu’elle peut, mais elle est bien imparfaite.
Les coups d’État heurtent les principes démocratiques ; mais ces mêmes principes ont produit Hitler en Allemagne. Et il faut bien admettre, aussi inconfortable et paradoxal que cela soit, que des coups d’État, en Afrique, ont marqué le début de transformations positives. L’histoire récente du Ghana montre que le chemin vers la démocratie n’est pas nécessairement vertueux. Celle du Burkina Faso montre que de grands leaders – même si Thomas Sankara n’aura gouverné que 4 ans – peuvent émerger hors de tout cadre démocratique. Pour autant, il est difficile de légitimer le recours aux coups d’État comme mode d’accession au pouvoir. Mais alors…
Lorsqu’elle fonctionne, la démocratie est pourvoyeuse de légitimité – légitimité populaire. C’est un de ses principaux avantages. La légitimité assure une forme de stabilité et permet de produire du consensus. La démocratie, de ce point de vue, est un moyen, mais n’est qu’un moyen, de produire de la légitimité. Mais l’histoire, cette formidable emmerdeuse, montre que certains coups d’État, illégitimes au départ, ont in fine produit de la légitimité, de la stabilité et une forme de consensus. Elle semble indiquer, en somme, qu’il peut exister de « bons » coups d’État, des « coups d’état démocratiques ». Si cela est vrai, l’enjeu, dès lors, est le suivant : comment reconnaître « un coup d’État démocratique » ? Autrement dit, comment, en amont, faire la différence entre Jerry Rawlings et Hissène Habré ?…
Les peuples africains veulent avant tout améliorer leurs conditions de vie. La démocratie est un instrument qui peut assurément permettre d’atteindre cet objectif. Mais le « démocratisme » est un carcan qui ne permet pas de penser la complexité des réalités politiques. L’une de ces réalités est qu’il n’y a aucune prédisposition à la (bonne) gouvernance. Une autre de ces réalités, plus troublante, semble être que des coups d’État, aussi illégitimes soient-ils, peuvent recueillir l’adhésion du peuple – exemple celui de Thomas Sankara -, et donc qu’ils ne constituent pas nécessairement des coups portés à la démocratie…

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