mercredi 22 janvier 2014

Mécanique du Dey : se faire élire par le peuple, contre le Peuple

Le Quotidien d’Oran-Kamel Daoud
Déjà 40 formulaires retirés par 40 candidats à la candidature. C’est l’inflation : tout le monde veut être président, personne ne veut être (ou finir comme) le peuple. Sauf que pour être candidat, il faut, selon la règle, être déjà élu par le fameux Consensus. Le consensus est le vote des réseaux, des associations para politiques, des grands officiers décideurs (en fonction ou en retraite), des «Services», des partis uniques et des rentiers en général en plus de quelques milieux d’affaires, en plus de la France et des USA. Le Deylicat. C’est ce que dit le manuel du candidat qui n’a jamais été écrit mais que tout le monde connaît. En gros, il faut être élu par le peuple numéro 1. Quelques milliers de gens, quelques millions de milliards, quelques répertoires, clans, cercles, gisements et réseaux maffieux.
Le peuple numéro 2, on le connaît, votera par la suite, le 17 avril. Vote inutile ? Non, un peu pour le fond, un peu pour la forme. En gros, le peuple numéro 1, minoritaire, a une énorme influence alimentaire et mentale sur le peuple numéro 2 : il le manipule, le nourrit ou l’appauvrit, le parasite, pense à sa place, le surveille, le tient loin des commandes, s’en méfie, mais en a besoin. Le peuple numéro 2 est un grand corps presque débile, amorphe, lent et attardé face à l’histoire de sa terre : il pèse par son poids, pas par son pouvoir, il n’a pas de mains, ni de bras. On a besoin de son vote mais on vote à sa place d’abord, on lui indique le chemin, le choix, l’élu et il vient ensuite apposer sa signature tremblante et analphabète sous forme de croix au bas du document. Et quand il le fait «mal», on peut le punir ou falsifier sa signature.
En gros, c’est un équilibre perfide et discret : le peuple 1 élit, le peuple 2 vote. Le premier est une grosse tête sans corps, le second un corps sans tête. Les candidats à la candidature qui comptent uniquement sur le vote du peuple numéro 2 se fourvoient, finissent mal, se trompent ridiculement et font sourire les initiés. Mais ceux qui sont élus par le peuple 1 savent aussi que l’exercice consiste à convaincre le peuple 2, à jouer le jeu de la fiction et à faire semblant tout en convainquant la masse de croire qu’elle vote. Les deux modes s’appellent le Consensus et les Elections. Un bon candidat est celui qui réussit à se faire élire par le consensus ou une partie, puis à se faire adopter par le second peuple, contre l’avis du peuple et contre l’intérêt du peuple. Se faire élire «par le peuple et contre le peuple» selon le bon slogan. C’est à dire à être élu puis à vendre «les élections démocratiques» comme démocratiques et propres.
Il ne s’agit pas de fraude exactement mais d’une distribution précise de la «Légitimité» et de son coefficient : il y a les grand électeurs et les électeurs. Un homme qui va se présenter sans garanties est un idiot et un homme qui pense que ce peuple va se soulever pour lui est un idiot. D’ailleurs, c’est une mécanique universelle, parfois discrète et régulée, parfois criarde et scandaleuse. Le tout est dans l’équilibre entre les deux peuples 1 et 2. Bien huilée, cette mécanique peut être une démocratie, mal régulée et abusive, c’est une véritable colonisation par de grands colons et leurs milices et serfs. Et en Algérie, on le sait, c’est une colonisation.
http://www.lequotidien-oran.com/?news=5193151

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