jeudi 21 novembre 2013

Libye: le gouvernement et l’interminable casse-tête des milices

LIBYE - 
Article publié le : mercredi 20 novembre 2013 à 16:20 - Dernière modification le : mercredi 20 novembre 2013 à 16:51


RFI
Une unité de l'armée régulière libyenne en route pour désarmer une milice illégale, le 23 septembre 2012 à Tripoli.
Une unité de l'armée régulière libyenne en route pour désarmer une milice illégale, le 23 septembre 2012 à Tripoli.
REUTERS/Anis Mili

Par Nicolas Champeaux
Le gouvernement libyen peine à mettre en œuvre la loi 27. Ce texte qui ordonne aux milices d'évacuer les grandes villes du pays a été adopté par les membres du Congrès général, il y a bientôt six mois. L'épisode meurtrier du vendredi 15 novembre, qui a vu cinquante six manifestants de Tripoli tomber sous les balles d'une brigade de Misrata, et fait cinq cents blessés, a conduit le gouvernement à agir. L'émotion et l'indignation suscitées par le bain de sang a permis à l'Etat, à court terme, de reprendre le dessus dans la capitale. Mais la menace des milices subsiste.



ECOUTEZ : ce mercredi 20 novembre l'émission Décryptage, à 19h10 heure de Paris, consacrée à la Libye
La plupart des brigades de Misrata ont évacué Tripoli. Les milices de Jadu, de Nalut et de Gharyan, dans le nord-ouest du pays, leur ont emboité le pas, croit savoir le quotidien anglophone Libya Herald. Une délégation de la ville de Zenten, dont les brigades surarmées contrôlent la route qui mène à l'aéroport de Tripoli, était reçue pour évoquer un retrait de la capitale. Les patrouilles de militaires de l'armée régulière à Tripoli, une première, ont été applaudies par les habitants. Des Tripolitains rapportent que la plupart des barrages érigés par les milices ont été démantelés, ils ont vu des policiers en uniforme camouflage bleu flambant neuf réguler le trafic aux grandes intersections de la capitale. Mais il est à craindre que ce répit soit de courte durée.
Les brigades ont quitté Tripoli avec leur impressionnant arsenal de guerre. Rien ne les empêche de sévir de nouveau dans la capitale. Il y a, en effet, le précédent d'Ansar al-Charia. Les milices d'Ansar al-Charia, soupçonnées d'avoir organisé l'attaque contre le consulat américain de Benghazi qui avait causé la mort de l'ambassadeur Chris Stevens le 11 septembre 2012, avaient elles aussi quitté Benghazi sous la pression populaire. Las, elles sont revenues et contrôlent aujourd'hui l'entrée ouest de la ville. Le Premier ministre Ali Zeidan a certes présenté un plan en quinze points mardi pour régler les nombreux problèmes liés aux milices, y compris le désarmement, mais l'armée nationale en construction ne fait pas le poids face aux brigades d'anciens révolutionnaires, qui contribuent au délitement de l'Etat dans la Libye post-Kadhafi.
Une armée historiquement faible
Mouammar Kadhafi, durant les quarante deux années de son règne, a déjoué plusieurs coups d'Etat fomentés dans les rangs de l'armée. Il a donc veillé à ce qu'elle soit sous-équipée, et en sous effectifs, au profit des brigades spéciales en charge de sa protection personnelle, et d'autres, confiées à ses fils. C'est donc cette armée historiquement faible qu'il faut remettre sur pied, pour déjouer la menace de milices qui se sont largement servies dans les dépôts d'armes des forces de Kadhafi durant la révolution, et qui ont reçu des armes de France et du Qatar. Les Etats-Unis sont disposés à aider la Libye à relever le défi, et se sont engagés cette semaine à former jusqu'à 8 000 militaires libyens. La formation devrait être assurée, pour des raisons de sécurité évidente, à des milliers de kilomètres de la Libye, en Bulgarie.
Reste que le gouvernement libyen n'a jamais employé la force pour tordre le bras aux milices, qui ont les mains libres. Les autorités libyennes ont essayé de confier des missions aux ex-rebelles, qu'elles a placés sous la tutelle des ministères de l'Intérieur et de la Défense, pour les responsabiliser, mais cela ne les a pas empêchés de se retourner contre le gouvernement et de se comporter en brigand.
Le Premier ministre Ali Zeidan a ainsi été enlevé durant quelques heures en octobre, par des milices qui étaient employées par le gouvernement pour assurer la sécurité aux abords des ministères et du Congrès général national. L'exemple du siège de plusieurs ministères en avril et mai, par des milices lourdement armées, est tout aussi éclairant. Ce recours à la menace, n'a jamais été sanctionné, au contraire il a payé. Les milices ont obtenu que la loi d'exclusion politique, qui vise à exclure tous les responsables politiques associés de près ou de loin au régime Kadhafi, ne soit assortie d'aucune dérogation. Elles ont même obtenu la démission du ministre de la Défense et du président du Congrès général national Mohammed Magarief, alors que le Congrès est une assemblée élue.
L’équilibre de la terreur
Le délitement de l'Etat se vérifie au niveau des fréquentes entraves à la justice. A Benghazi, les magistrats chargés de l'instruction de cas impliquant des membres de milices sont régulièrement intimidés, menacés, exécutés. Chaque semaine un responsable sécuritaire est assassiné ou enlevé, mais les ravisseurs ne sont jamais inquiétés par la justice. Selon des observateurs, la Libye postrévolutionnaire ne devrait finalement sa survie qu'à l'équilibre de la terreur. La multiplicité des groupes armés, issus de tribus, de villes différentes, et animés par des agendas propres, complique la compréhension de ce qui se déroule véritablement aujourd'hui en Libye. Surtout, elle empêche un groupe de prendre le dessus sur les autres, et de tenter l'aventure d'un coup d'Etat.
Deux autres menaces pointent à l'horizon. Les autorités ne savent pas à qui confier des missions de maintien de l'ordre et de surveillance des frontières jusqu'ici assurées tant bien que mal par les milices. Par ailleurs, passé le 1er janvier, plus aucun combattant de milice ne pourra prétendre à un salaire gouvernemental, ce qui fait craindre tous types de dérapages de la part d'ex-rebelles armés privés de revenus.
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