jeudi 21 juin 2012


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Le Sahel dans la tourmente

EL WATAN
jeudi 21 juin 2012
Au Mali, la faiblesse des capacités de l’Etat à fournir les services de base et à répondre aux défis sociaux et sécuritaires entretient la conflictualité violente qui tend à s’internationaliser dans un contexte de vulnérabilité évidente et de menaces avérées.
De manière plus générale, le Sahel est en ébullition pour des questions d’adaptation qui semblent ne trouver de réponse que dans le partage du pays en lieu et place du partage du revenu et des efforts pour son amélioration.
Cette situation d’instabilité et de violence, marquée par la résurgence cyclique des mouvements irrédentistes aujourd’hui sous la bannière du MNLA, l’activisme de groupes terroristes et de divers réseaux criminels dans l’Azawad, aggravée par la crise politique à Bamako suite au coup d’Etat et à ses dégâts collatéraux, ouvre la voie aux scénarios les plus sombres. Le conflit intercommunautaire entre Peuls et Dogans qui, en l’absence d’administration interpellent le Burkina Faso, peut représenter l’image réduite du caractère de la violence au Mali, susceptible de connaître un prolongement transfrontalier.
Deux organisations sous-régionales, les pays du champ et la communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) se penchent sur le cas du Mali. Deux approches s’affrontent pour répondre à cette menace multiple qui, en fait, pèse sur toute la sous-région.
Dès le début de la crise, le président malien, Amadou Toumani Touré, alias ATT, rejeta toute intervention en-dehors de celle des pays du champ, et l’Algérie devait reprendre son rôle de médiateur.
Le MNLA revendique l’indépendance de l’Azawad, mettant la barre très haut, refuse les démarches devenues classiques qui se terminent invariablement par des accords de paix similaires aux précédents et invite « les pays qui ont de l’influence sur la région » à se pencher sur la crise. Démarche qui rappelle, curieusement et avec surenchère, celle empruntée par les mouvements armés au Niger en 1994 et qui s’est conclue par la médiation du Burkina Faso, la Libye, la France et l’Algérie. Le MNLA, tout en rejetant les schémas jusque-là appliqués dans la résolution des conflits précédents, accepte de se mettre à la table des négociations.
Mais, la situation va soudainement basculer par l’acte précipité d’un capitaine de l’armée malienne. En effet, le 22 mars 2012, le capitaine Amadou Sanogo renversa le président élu, ATT, bien que le mandat arrivât à son terme, ne laissant aucune référence au pays à même de mener les opérations militaires légitimes au Nord ou d’établir le dialogue avec les belligérants. Une intense activité des groupes armés s’ensuivit. Le Mali est disloqué : au Nord, le MNLA progresse ; les combattants de AQMI et de Ansar Eddine hissent leur drapeau sur Tombouctou, après avoir pris les villes de Kidal et Gao en décrétant l’application de la charia. La junte, incapable de contenir la percée du MNLA, bombarda les populations civiles dans la région de Kidal.
La communauté internationale réagit, exigeant le rétablissement de l’ordre constitutionnel. Face à la menace d’intervention d’une force armée de l’UA, Amadou Sanogo, à la tête du Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’Etat (Cnrdre), créé après le renversement du président ATT, accepte une force qui interviendrait sur une partie du sol malien… uniquement contre les populations du Nord, alors que le Mali est menacé dans son existence. La discipline devrait être la force principale en ces moments où le pays a besoin de la mobilisation de toutes ses capacités pour réévaluer l’apport du pacte national, puisque c’est de cela qu’il s’agit, du moins dans une première lecture. C’est à se demander si les commanditaires du putsch, alors qu’ils décidaient de remplacer ATT par la force des armes, avaient un dessein national. Les raisons évoquées pour justifier le putsch et l’acceptation d’une armée étrangère qui opérerait au Nord confirment l’inanité de l’acte.
Les conséquences de l’embargo imposé par la Cédéao et les pressions internationales font reculer la junte au profit d’un gouvernement de transition chargé de juguler la crise. La Cédéao, fervente à l’intervention militaire au nord du Mali, est suivie dans sa logique de guerre par L’UE et la France. L’UA est sollicitée à son tour pour soumettre le dossier malien à l’ONU en vue d’une intervention militaire africaine sous la couverture de la communauté internationale. Dossier, du reste, rejeté par le Conseil de sécurité de l’ONU le jugeant trop imprécis. Interrogé sur l’efficience d’une telle option, le président de la commission de la Cédéao, Kadré Désiré Ouédraogo, considère que « l’usage de la force n’est pas la première option.
La première option, c’est d’obtenir un résultat via la négociation avec ceux qui ont des revendications légitimes (…) Les chefs d’Etat (de la Cédéao) ont été clairs : si les discussions échouent, l’usage de la force n’est pas exclu, et c’est pourquoi ils ont demandé à la commission de la Cédéao de tenir prête une force pour une intervention au Mali ». (AFP. 16 juin 2012). Interrogé par le quotidien français L’Express sur la position de l’Algérie vis-à-vis de la crise dans son pays, Soumeylou Boubeye Maïga, ancien ministre des Affaires étrangères, de la Défense et enfin chef des services de renseignement déclare : « On sait cette dernière opposée par principe à toute ‘‘ingérence extérieure’’. Mais une opération sous le label Cédéao échappe à ce grief. Dès lors qu’une action sera engagée, Alger n’aura d’autre choix que de s’y associer. »
Dans cette effervescence guerrière, la Cédéao tente de précipiter l’Algérie dans un conflit dont l’acceptation du seul principe provoquerait la cassure irréparable. L’Algérie était et reste l’ami indéfectible du Mali, le sol algérien une terre d’asile, refuge traditionnel des populations du Sahel septentrional, contre le banditisme, la famine et les guerres. 
Mais si l’on considère les réactions à l’intérieur du Mali et celles internationales, la menace prend une autre dimension qui risque de remettre en question les soutiens qui restent à l’Algérie dans la région.
La Cédéao, réunie à Abidjan le 27 mars 2012, nomme B. Compaoré, président du Burkina Faso, médiateur dans la crise.
La rébellion nuance son choix : « Nous ne voulons plus rééditer les accords signés à l’issue des rebellions des années 1960, 1990 et 2000 (…) L’appel est lancé aux pays qui ont de l’influence sur la région. » Qu’ils sont loin les temps où Iyad Ag Ghali imposait l’Algérie comme médiateur et rejetait toute interférence française.
L’information selon laquelle Alger voudrait organiser un forum pour tenter de résoudre la crise au Mali fait bondir l’éditorialiste du quotidien de Bamako : « Cette proposition est une insulte à Bamako, et surtout au peuple du Mali (…) Si
Bouteflika veut aider le Mali, qu’il inscrive toutes ses actions dans la dynamique de celles de la Cédéao ou de l’Union africaine, dont il est un des membres influents ».
Le président du Niger, Mahamadou
Issoufou, appelle à une intervention armée au nord du Mali, et surenchérit : « L’Europe aussi est en danger. » Son ministre des AE reproche à l’Algérie sa léthargie dans la prise de décision et préfère qu’elle se conforme à l’option de la Cédéao. 
Ainsi, et pour diverses raisons, les résultats des solutions mises en œuvre étant jugés en deçà de l’accord-cadre de règlement des problèmes du Nord, d’autres moyens de résolution du conflit seront recherchés à travers la médiation du Burkina Faso. L’organisation des « pays du champ » dont la stratégie de lutte nécessiterait, selon les déclarations des MAE du Mali et du Niger lors de la réunion des pays du champ tenue à Alger les 7 et 8 septembre 2011, un soutien extérieur et plus d’engagement sur le terrain, n’aura connu qu’une éphémère existence.
L’Algérie peut-elle se désengager d’un conflit qui se déroule à ses frontières ? Dans la situation présente, l’Algérie, incontournable dans le règlement de « la question touareg », dispose de cartes maîtresses pour juguler la menace et ne peut permettre sa mise à l’écart, car les dynamiques transfrontalières, vecteurs de diffusion et d’amplification des facteurs de crise et de conflits, ne manqueront certainement pas de l’entraîner dans leur tourbillon. De même, un dénouement heureux sans l’Algérie affaiblirait son poids dans la sous-région, tandis qu’une évolution catastrophique pèserait particulièrement sur notre pays. Accepter un rôle d’observateur c’est soumettre le devenir de la sous-région au jeu de la roulette russe.
L’expérience de la Cédéao, riche en matière de prévention et de gestion des conflits grâce au dispositif d’alerte précoce, n’explique pas sa focalisation sur l’option militaire en réponse à une manifestation de la vie : le problème des populations du Nord. Dans le cas présent, on est loin des conflits armés les plus destructeurs et des crises sociopolitiques les plus sanglantes qu’a connues l’Afrique de l’Ouest, particulièrement au Liberia, en Sierra Leone, au Togo, en Guinée et en Casamance. Pourquoi l’UA s’est-elle vite engagée sur le chemin de la Cédéao, malgré la lettre ouverte adressée à son président par Mme Zakia Welet Halatine, membre du MNLA et ancienne ministre de l’Artisanat dans laquelle elle rappelle et avertit en même temps : « Nous avons toujours réclamé un tel dialogue : incapables de sagesse parce que dans le registre de la ruse, les personnes en charge du dossier n’ont répondu que par des manœuvres de division : l’envoi de forces militaires, les pogromes et les exactions de toutes sortes (…) Appeler à une intervention militaire sur le sol d’un peuple, sans l’avoir consulté n’est pas porteur de paix durable. »
L’UE également et la France par la voix de son président ne voient de possibilité de rétablissement de l’ordre que par la guerre au nord du Mali, alors que la solution est connue par tous les acteurs : la rébellion, le pouvoir central de Bamako, celui de ATT du moins, et les pays auxquels est lié le Mali, c’est-à-dire les pays du champ, la Libye et la Cédéao.
De même, l’accélération du montage d’une armée africaine en Côte d’Ivoire, appelée Micema (mission de la Cédéao au Mali) destinée à intervenir au Mali contre une menace… hybride et l’insoumission des putschistes au gouvernement de transition malgré les signes d’apaisement lancés, du moins par le MNLA, exacerbent les tensions. A la dernière rencontre (9 juin 2012) avec le président burkinabé, Blaise Compaoré, médiateur de la Cédéao pour la crise au Mali, les représentants du mouvement ont exprimé leur disponibilité à une solution négociée : « Le MNLA se met à la disposition de la Cédéao et de la communauté internationale pour trouver une sortie honorable à la crise au Mali. » Si les premiers prennent le risque d’embraser la sous-région, les seconds s’inscrivent dans l’application de cette nouvelle forme de résolution ou d’atténuation des conflits impliquant des minorités : l’autonomie.
Dans ce débat Nord-Sud malien, deux impressions se dégagent :
L’Algérie dans sa course contre les organisations régionales décidées à plonger la sous-région dans une guerre totale semble faire cavalier seul. Unique soutien au gouvernement provisoire de Bamako dans le rejet de toute intervention militaire au Mali, peut-elle faire front avec la Mauritanie en contrepoids à la Cédéao ?
Les gestes d’apaisement du MNLA, s’ils ne sont pas le résultat de pressions de l’Algérie, exprimeraient alors l’isolement de notre pays. Aussi, devient-il de plus en plus urgent d’aider à remettre de l’ordre en Libye, soutien influent et concerné par le conflit.
Le jeu trouble du mystérieux Moujao qui, malgré son appellation a dirigé toutes ses actions terroristes contre l’Algérie, conjugué aux activités des groupes salafistes gêne la visibilité et n’augure rien de bon si on les compare aux formations dont ils sont issus ; Al Qaîda est passée par le Soudan et l’Afghanistan, que sont devenus ces pays ? Al Qaîda fait la guerre au Yémen et le Sud remet en question l’union ? Elle s’est installée en Algérie, en Kabylie, en vue de rendre inopérant l’engagement de l’Algérie dans la sous-région où elle sème les germes d’une conflictualité susceptible d’internationalisation. Al Qaîda ne fait pas la guerre à l’Occident, elle déstabilise les musulmans.
Ces mouvements islamistes, « Cheval de Troie » des puissances extrarégionales, s’interposent comme un voile opaque à l’avantage des stratèges du nouvel ordre international. Le chef du parti islamiste Ennahdha au pouvoir en Tunisie, Rached Ghannouchi, avertit les Tunisiens de la menace salafiste : « Zawahiri est une catastrophe pour l’Islam et les musulmans. L’Afghanistan, l’Irak et la Somalie ont été colonisés à cause de lui. Il n’a qu’un projet de guerre civile, il n’a jamais fait de bien pour l’Islam. » (Courrier international 07 juin 2012).
Enfin, on peut évoquer la prospective et dire avec le futurologue Alvin Toffler que « le monde n’a pas sombré dans la folie. En réalité, au-delà du bruit et de la fureur, de l’apparente incohérence des événements, s’ébauche un avenir étonnant et peut-être chargé d’espoir ». (A. Toffler, La troisième vague).-
Mohamed Khalfaoui : ancien officier supérieur de l’ANP

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