samedi 7 avril 2012


Et si Alger soutenait l'indépendance des Touaregs?

L'Algérie est incontournable dans la gestion de la crise au Nord-Mali. Alger a noué des liens étroits avec les Touaregs.

Rencontre entre Abdelaziz Bouteflika et Amadou Toumani Touré à Alger le 25 novembre 2007. Reuters/Louafi Larbi
L'AUTEUR
PARTAGER
TAILLE DU TEXTE
 
Mise à jour du 7 avril 2012:  La junte militaire au Mali s'est engagée le 6 avril soir à remettre le pouvoir aux civils dans le cadre d'un accord avec la Cédao, qui a menacé de recourir à la force pour préserver "l'intégrité territoriale" du pays après la déclaration d'indépendance du territoire de l'"Azawad", au Nord, par un mouvement de la rebellion touareg.
"Nous sommes parvenus à un accord, accord qui permettra dans les heures et les jours à venir de mettre effectivement en place les organes prévus par la Constitution et qui fonctionneront de manière régulière", a annoncé à la télévision publique ORTM le ministre burkinabè des Affaires étrangères, Djibrill Bassolè, au nom de la la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao).
****
Neutre puis inquiète, Alger est entrée de plain pied dans le conflit et la partition du Mali depuis la chute de Tombouctouet de l'enlèvement de son personnel consulaire à Gao par des éléments islamistes qui lui en veulent à mort. Proche du MNLA, Alger pourrait soutenir l'indépendance de l'Azawad, faisant voler en éclats son dogme de «l'intangibilité des frontières issues de la décolonisation.»
Tin Zawatin, petit village targui enfoui dans les confins du Sahara, à cheval entre l'Algérie et le Mali, deux pays qui partagent près de 1000 kilomètres de frontières. Le nom vient de l'oued, Tin Zawatin, qui désigne une espèce d'arbre de cette région pauvre et isolée. L'oued est à sec toute l'année mais, ici, à 2500 kilomètres d'Alger, il fait office de frontière entre les deux pays, il n'y a ni barrières ni grillage, encore moins de mur. Il suffit de passer l'oued et l'on se retrouve dans un autre pays.
Le village, ancien campement nomade, a été divisé en deux par la colonisation, la Tin Zawatin algérienne, plus ou moins riche et où l'Etat est présent, et la Tin Zawatin malienne, pauvre et sans Etat. Tout un contraste, pour deux villages distants de quelques mètres. Depuis le début de cette nouvelle rébellion targuie, les Tin Zawatin sont sous couvre-feu et des dizaines de milliers de Touaregs mais aussi d'Arabes du Sahara, ont fui les combats. 30.000 d'entre eux sont entrés en Algérie, pendant que les Songhaïs, pris entre les deux feus, ont préféré rejoindre leur cousins du fleuve Niger.

Alger et la neutralité positive

Fin janvier, avec d'autres localités du Nord Mali comme Tessalit ou Aghelhoc, la Tin Zawatin malienne tombe rapidement aux mains des Touaregs, sous le regard neutre mais inquiet de la Tin Zawatin algérienne. Alger a déjà pris conscience d'un nouvel embrasement dans la région, et elle qui avait déjà pris en charge les accords entre le pouvoir central malien et les Touaregs en 2006 et mis fin aux hostilités, met sa diplomatie en branle, car sur le front intérieur, ce n'est guère mieux.
Les quelques 20.000 Touaregs algériens sont solidaires de leurs frères du Mali, même s'ils n'ont jamais été indépendantistes chez eux, et plusieurs associations berbères amazighes d'Algérie du Nord soutiennent les Touaregs et leurs revendications.
Début février et prudente au départ, Alger ne négocie pas directement avec le MNLA , le Mouvement National de Libération de l'Azawad, fer de lance de la rébellion armée, mais avec l'Alliance Démocratique du 23 mai pour le Changement, pour ne pas faire subir d'affront au président malien Amadou Toumani Touré, encore en place à cette période.

La neutralité positive d'Alger?

Sachant pertinemment que de nombreux membres de l'Alliance Démocratique combattent avec le MNLA contre l'armée malienne, Alger adopte une neutralité positive, négociant avec patience la fin des hostilités, et pour cause: l'attentat suicide qui a visé pour la première fois Tamanrasset(métropole du Sud algérien et dont dépend entre autres Tin Zawatin) le mois dernier, a bouleversé une donne déjà compliquée.
Entre les armes et les groupes radicaux en libre circulation au Sahel, l'instabilité en Tunisie et en Libye, dont les frontières sont sous haute surveillance, et celles avec le Maroc, toujours fermées, l'Algérie se retrouve isolée et entourée d'agitations multiples. Mais surtout, elle voyait d'un mauvais œil l'alliance (tactique) défunte entre le MNLA et Ansar Dine, ces derniers étant liés à Al Qaïda.
Mais tout est allé très vite. La prise de Tombouctou par le MNLA, puis par Ansar Dine, la prise d'otages du personnel consulaire de Gao par les islamistes, a bousculé la lourde et lente diplomatie d'Alger. D'autant que c'est le même groupe ayant revendiqué l'attentat de Tamanrasset qui a enlevé ses ressortissants.
En contact permanent avec le MNLA, elle tente maintenant de s'allier directement avec cette mouvance laïque et progressiste pour se défaire des islamistes, d'abord pour récupérer ses otages, ensuite pour contrer Al-Qaïda, qui vient de signer une nouvelle déclaration de guerre à l'Algérie. Les membres du MNLA ont beaucoup d'estime pour Alger, et celle-ci les connait très bien. Une amitié secrète pour des alliances secrètes.

La France coloniale responsable de la crise

C'est évidemment la France qui a été à l'origine de ce conflit. En divisant le territoire des Touaregs entre l'Algérie, le Mali, le Niger, ex-colonies, elle a créé un peuple éparpillé entre plusieurs nations et posé une bombe à retardement. Redoutant ces dangers, dès les années 1960, l'Union Africaine pose un principe de base, largement soutenu par l'Algérie, «l'intangibilité de frontières issues de la décolonisation», pour éviter les affrontements entre peuples écartelés et jeunes nations.
Mais l'entêtement des pouvoirs centraux africains a tout compliqué, après avoir revendiqué une large autonomie, les Touaregs, déçus par les promesses de Bamako, demandent aujourd'hui beaucoup plus et viennent le 6 avril, de publier une déclaration d'indépendance.par la voix du MNLA, évacuant toutes les solutions intermédiaires.
Si Alger a fermement condamné le coup d'état militaire au Mali, elle était hostile à l'indépendance de l'Azawad, et demandait il y a quelques jours encore à «définir le règlement de la question du Nord, fondé sur les intérêts supérieurs du peuple malien et la préservation de l’unité nationale et de l’intégrité territoriale du Mali», selon le porte-parole du ministère algérien des affaires étrangères, rejoignant le ministre français de la coopération, Henri De Raincourt, venu à Alger avant la chute de Tombouctou refuser l'indépendance des Touaregs :
«Nous soutenons la pérennité du processus engagé le 2 février dernier en Algérie entre le gouvernement malien et les Touaregs pour l’examen des moyens de parvenir à un accord dans le cadre de la sauvegarde de la sécurité et l’unité territoriale et la souveraineté du Mali.»

L'intangibilité des fontières vole-t-elle en éclat?

Là aussi, la donne a changé. Début avril, la France est contre une opération militaire, ouvrant la voie à l'indépendance de l'Azawad, tout comme l'Algérie, qui commence à y voir moins d'inconvénients: une terre à son Sud dirigée par des Touaregs amis qu'ils connaissent très bien et qui connaissent si bien leur région pourrait être une garantie de stabilité et d'une chasse sérieuse aux éléments d'Al Qaïda, ce que l'armée malienne n'a jamais fait. Le dogme de «l'intangibilité de frontières issues de la décolonisation» vole en éclats?
Oui, mais l'Algérie avait déjà accepté la partition de l'Ethiopie en 1993 (qui a donné naissance à l'Erythrée) et du Soudan en 2011, plus grand pays d'Afrique, devenant de fait à son tour le plus grand pays d'Afrique. Surtout, aujourd'hui encore, Alger continue de réclamer «l'autodétermination du peuple sahraoui.» Pourquoi ne le ferait-elle pas pour le peuple targui, alors que celui-ci lutte depuis les années 50, dénonçant même dans une lettre au Général De Gaulle l'intégration de leurs territoires au Mali, ainsi qu'au Niger? Justement. En ouvrant la voie aux partitions africaines, Alger pourrait se voir reprocher des territoires qu'elle a récupéré grâce à la décolonisation, particulièrement au détriment de son frère ennemi historique, le Maroc.

Abdelkader El Mali, alias Abdelaziz Bouteflika

C'est une vieille histoire. Depuis la première rébellion des Touaregs en 1961, d'autres ont eu lieu, en 1990, 1994 et 2006, et Alger s'est toujours mêlée de ce conflit pour faire cesser les hostilités et parrainer des accords qui ont été très peu respectés par Bamako. Officiellement, l'Algérie refuse l'idée de sécession mais officieusement, elle admet que le pouvoir central malien n'ait pas respecté ses engagements en faveur des populations du Nord, Touaregs, Arabes et Songhaïs.
C'est une plus vieille mais autre histoire, déjà pendant la guerre d'indépendance algérienne, le FLN (Front de libération national) aidait les Touaregs à combattre l'occupant français et y avait installé des bases à Kidal et Gao, aujourd'hui aux mains du MNLA, et c'est depuis le territoire targui du Mali que les troupes du FLN sont entrés en Algérie à l'indépendance (en 1962), pour occuper la ville de Tamanrasset.
Les Touaregs progressistes, aujourd'hui regroupés sous le MNLA, ont aussi aidé les Algériens dans leur lutte. Une amitié secrète les unit, qui pourrait déboucher sur un coup de main pour une indépendance relative ou totale de l'Azawad, Alger étant prête à interdire tout déploiement de militaires étrangers dans le Nord du Mali.
Fait moins connu, le président Bouteflika lui-même, dont le nom de guerre est Abdelkader El Mali («Abdelkader Le Mali»), a passé une partie de la guerre d'indépendance au Nord-Mali pour d'obscures raisons, mais officiellement pour s'occuper des bases arrières et de l'approvisionnement en armes. Avec toutes ses amitiés, pourquoi Alger va-t-elle accepter l'indépendance de l'Azawad, qui semble inéluctable?
Probablement, parce que l'histoire change souvent de sens. Comme à Tin Zawatin algérienne, qu'un grain de sable sépare du Mali. Un petit village où les Algériens déposent régulièrement dans des camions grillagés les migrants clandestins attrapés en Algérie pour les refouler vers le Mali, le Niger n'acceptant que les Nigériens. Et c'est ici aussi que depuis janvier, le sens s'est inversé. L'Algérie, qui a accueilli près de 30.000 réfugiés fuyant les combats, selon le ministre de l'intérieur, a stoppé ses refoulements à la frontière. Les camions remontent vers le Nord.
Chawki Amari
A lire aussi
Au pays du Sahel, le borgne est roi
Bamako rêve d'en découdre avec l'ennemi
Mali - La junte demande aux Occidentaux d'intervenir militairement
Mali: «La junte n'a pas de stratégie»
Pourquoi l'armée malienne ne parvient pas à combattre les Touaregs
Lire notre dossier: Mali, un pays coupé en deux

Aucun commentaire: