mercredi 28 mars 2012


Au coeur du Sahel sous tension, la poudrière malienne

LE MONDE | 28.03.2012 à 08h00 • Mis à jour le 28.03.2012 à 14h28

Par Christophe Ayad
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La scène se déroule le 18 mars 2011. Alors que les chars de Kadhafi foncent vers la ville rebelle de Benghazi, le téléphone sonne dans une rédaction parisienne."Allô, je suis un chef touareg. La "soeur" X, elle est toujours en Libye ? C'est une journaliste amie, on se connaît bien. Dites-lui de quitter Benghazi si elle y est parce qu'on arrive et qu'il va y avoir du grabuge." Le lendemain dès l'aube, Benghazi est attaquée. Quelques heures après, les avions de l'OTAN entrent en action. L'offensive kadhafiste est écrasée sous les bombes de précision : véhicules carbonisés comme s'ils avaient explosé de l'intérieur, blindés décapsulés comme de vulgaires canettes, soldats consumés.

Ceux qui ont échappé au bombardement s'enfuient avec armes et bagages. Les combattants touaregs, enrôlés par Kadhafi depuis des années, tracent à travers le désert pour gagner le nord du Niger et du Mali, leur refuge originel. Tout au long de la guerre de Libye, de mars à octobre 2011, ces scènes de désertion se sont répétées. A chaque fois, les Touareg ont emmené du matériel de guerre : des batteries anti-aériennes montées à l'arrière de pick-up, des lance-roquettes.

Dès l'effondrement du régime Kadhafi, il était évident que sa chute aurait des répercussions dans toute la bande saharienne, où il n'est pas une rébellion ou unpouvoir qu'il n'ait, à un moment ou un autre, financé, armé, combattu ou parrainé durant les quatre dernières décennies. L'onde de choc n'a pas pris six mois pouratteindre le nord du Mali. Depuis le début de 2012, le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA), du nom du territoire revendiqué par les Touareg maliens, prend les villes les unes après les autres. Désormais, Kidal est sous la menace des rebelles. Plus de 100 000 habitants sont réfugiés hors du pays, 90 000 sont déplacés.

Cette série de défaites a achevé de discréditer le président Amadou ToumaniTouré (ATT), accusé de mollesse et d'incompétence. Un groupe de jeunes officiers en colère l'a renversé le 22 mars 2012. L'élection présidentielle était censée avoir lieu le 29 avril. Désormais, tout est en suspens, et le pays au bord du gouffre.

Le Mali est le concentré explosif des maux d'une zone aussi immense que grise, qui va de l'Atlantique à l'océan Indien et où les trafics alimentent aussi bien les extrémistes islamistes d'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), que les mouvements de guérilla touareg et l'état-major d'une armée gangrenée par la corruption. D'une pauvreté extrême, le Mali, à l'instar du Burkina Faso et du Niger, est vulnérable à la moindre sécheresse, qui se traduit immédiatement par un risque de famine, comme c'est le cas cette année.

COMPLICITÉS

La drogue vient d'Amérique du Sud (cocaïne) ou du Maroc (haschich). Elle emprunte un grand axe d'ouest en est, qui se sépare en deux pour partir, soit vers le Sinaï puis Israël par le Nord, soit vers le Golfe persique via le Soudan. La blanche suit aussi une route nord-sud vers des ports méditerranéens, d'où elle est embarquée vers l'Europe. Le convoyage se fait grâce à des complicités dans les douanes, l'administration et l'armée. C'est notamment pour protester contre l'enrichissement de l'entourage d'ATT que les putschistes ont effectué leur coup de force.

Autre source d'enrichissement, le business des otages enlevés par AQMI. Cette résurgence saharienne du Groupement salafiste pour la prédication et le combat algérien est concentrée dans l'Adrar des Ifoghas, un massif aride à cheval sur le Mali et l'Algérie, proche du Niger. C'est là qu'ils détiennent leurs otages - actuellement 13 Occidentaux dont 6 Français - échangés contre de fortes rançons (183 millions d'euros pour 80 otages, depuis 2007). L'argent provient aussi de la "protection" accordée par AQMI au convoyage de la drogue.

Combattre AQMI, pour les généraux maliens, revient donc à se priver des retombées d'un trafic lucratif. On comprend, dans ces conditions, le peu d'empressement d'ATT à se confronter aux katibat (brigades) d'AQMI. Ce qui n'a pas manqué de causer l'exaspération de la France, première visée par les prises d'otages, ainsi que de la Mauritanie et l'Algérie, engagées dans une lutte à mort contre l'islamisme radical. Malgré l'installation d'un commandement commun antiterroriste à Tamanrasset, dans le sud algérien, la coopération ne fonctionne pas.

Les combattants d'AQMI, estimés entre 500 et un millier, ne sont pas forcément très nombreux, mais leur mobilité et des complicités locales, notamment chez certaines lignées touarègues, les rendent insaisissables. Le MNLA défend unislam modéré, mais Ansar Eddine, le groupe d'Iyad Ag Ghali, ancien négociateur de l'Etat malien, est sur une ligne plus radicale et veut instaurer la charia.

Ces passerelles attisent la crainte d'une transnationale terroriste africaine qui réunirait en un triangle infernal AQMI, Boko Haram, dans le nord du Nigeria, et les Shebab de Somalie. Une telle menace ne tient encore que du fantasme, d'autant que les contextes locaux sont très différents. Mais le transfert de savoir-faire en matière de techniques d'attentats suicides inquiète. Et depuis la disparition de Libye de plusieurs milliers de missiles sol-air portatifs, les experts n'excluent plus un attentat contre un avion civil aux abords d'une capitale de la région.

> A voir : notre infographie : Le Mali, une zone difficilement contrôlable





Christophe Ayad

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