lundi 26 décembre 2011


Lundi 26 décembre 2011

(…) La vérité est que la tragédie de Gao a été soigneusement conçue et exécutée par certains cadres sédentaires, un groupe d’hommes d’affaire de la cité avec la complicité active de certaines autorités civiles et militaires. En effet, déjà à la conférence des cadres co-présidées le 25-04-91 par le ministre de l’administration territoriale et son collègue chargé du tourisme et de l’artisanat, deux cadres ont déclaré sans embage :
-    « …il y a aujourd’hui imminence d’une guerre civile dans la ville de Gao ».
-    « Nous allons brûler les touaregs ».
Ces affirmations ayant valeur de véritables déclarations de guerre, constituaient un avertissement suffisant pour que les autorités prennent les dispositions qui s’imposent.
Le 26 Avril 91, sentant venir la tempête, des cadres et notables touareg et arabes se sont rendus chez le gouverneur et le commandant de la gendarmerie pour leur faire part du danger qui les menaçait.
Plein d’assurance, le gouverneur leur a donné des apaisements en disant ceci : « je connais bien les gens de Gao, ils parlent beaucoup, mais ils n’oseront pas agir. ». Ils lui ont répondu : « nous les connaissons aussi, mais les rumeurs qui circulent nous inquiètent ». Il reprit : « Tranquillisez-vous, il n’y aura rien, toutes les dispositions utiles seront prises ».
Le commandant de gendarmerie donna les mêmes assurances.
Le Vendredi 26 et Samedi 27 Avril, le gouverneur a tenu des réunions avec certains membres de la coordination des associations démocratiques, des notables de la ville et des éléments de service de sécurité. Il y aurait déclaré : « Faisons comme en Indochine, les enfants passent les premiers, les agents de l’ordre suivent pour perquisitionner ».

LE DEROULEMENT DES EVENEMENTS

En dépit des assurances données le 26 au soir la tragédie éclate le 27 Avril 91. Avec précision, sans le moindre tâtonnement, les maisons des touaregs et des arabes ont été systématiquement ciblées et sauvagement saccagées selon le plan suivant :
-    Perquisition par les éléments de la sécurité sous prétexte qu’elles contiendraient des armes et des rebelles et puis expulsion des habitants sous prétexte de les mettre en sécurité.
-    Invasion et pillage radical des habitations ainsi évacuées par la horde des vandales sous les yeux des agents de l’ordre.
Si comme l’a dit le gouverneur, des dispositions ont été prises pour éviter la tragédie, il est remarquable de constater que les services de l’ordre n’ont fait usage ni de gaz lacrymogène, ni de matraques, ni de cartouches à blanc, toute pratique habituelle en pareille circonstance. Au contraire, les armes étaient bel et bien chargées et des rafales de balles réelles ont été tirées sur la maison de Mme Agdaine et celle de Mohamed Ag Fattori.
Par ailleurs, pendant les perquisitions les bandes de vandales étaient contenues hors des habitations par de simples injonctions auxquelles elles obéissaient parce qu’apparemment c’était convenu.
Le complot a donc abouti à un résultat dramatique :
-    Deux morts
-    Deux blessés graves
-    Plusieurs blessés légers
-    Plus de 50 maisons littéralement saccagées avec un déchainement de haine que
Gao n’a jamais connu : portes, fenêtres, vêtements, ustensiles, voitures, installations électriques, robinets, meubles, bijoux, arbres, argent espèce, rien n’a été épargné.
Après ce monstrueux saccage : 305 personnes ont été regroupées dans la cour de la gendarmerie pour être transférées plus tard à Intahakha à 45 km, 700 personnes se sont refugiées dans un campement de marabouts Kel Essouk à 5 km de la ville – 350 autres personnes se sont retrouvées à Almoustarat à 140 km.  
Le déplacement de ces populations notamment celles transférées à Intahakha se justifie par l’incapacité de la gendarmerie à assurer leur sécurité à Gao. Il apparaît donc très clair que les assurances données par le gouverneur n’avaient aucun fondement.

-    Autres conséquences : Elles sont nombreuses et toutes aussi graves les unes
que les autres : familles sans abri, dénuement matériel total, fuite en désarroi, chocs psychologiques, immobilisme et blocage, exode, déséquilibre social, manque de confiance réciproque, aggravation de l’insécurité, désespoir, sentiment de rejet et d’exclusion etc.

CONCLUSION

Lorsque la rébellion a éclatée en Juin 1990 et a créé un climat d’insécurité dans les 6e et 7e Régions, ces sont des membres des communautés aujourd’hui agressées qui ont combattu volontairement aux côtés des forces armées quand cela est devenu nécessaire. Ils ont servi également d’intermédiaire entre les rebelles et le pouvoir central.
Comment donc comprendre qu’à Gao on ait rangé tous les touaregs et arabes dans le camp des rebelles ?
Ceux qui ont pris la lourde responsabilité de déclencher cette tragédie savent-ils que beaucoup plus que les pertes matérielles et humaines, la conséquence la plus grave est l’apparition pour la première fois dans l’histoire du Mali indépendant de la violence extériorisant le racisme ?
Savent-ils qu’après les mythes des religions, les mythes de races sont les plus dangereux à manipuler dans le monde ?
Savent-ils enfin que l’aggravation de l’insécurité ne peut jamais être un remède contre l’insécurité ?
Nous avons cependant la conviction et même les preuves que la majorité de la population sédentaire de Gao, bien qu’intoxiquée par des agitateurs virulents, désapprouve totalement ce qui s’est passé.
Nous savons également que les phénomènes de ce genre sont d’une contagion à propagation très rapide et que mal maîtrisés, ils risquent de nous entrainer dans un cycle infernal de la violence.
    Aussi pour éviter cette violence dont notre pays n’a nullement besoin proposons-nous les mesures suivantes :
-    Une enquête radicale et immédiate menée avec la plus grande impartialité sur les événements survenus à Gao le 27 et 28 Avril 1991.
-    Des sanctions exemplaires contre les coupables et leurs complices.
-    Une réparation des préjudices matériels et moraux causés aux victimes.
-    Des mesures adéquates pour assurer la sécurité des gens afin qu’ils se sentent couverts par les mêmes droits que le reste de la communauté nationale.
-    L’application correcte des accords de Tamanrasset par toutes les parties concernées.

                             Ag azawad                                      Gao le 7 Avril 1991

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