dimanche 23 octobre 2011

L’amère victoire de la révolution libyenne
Nous devons refuser, dans la saga des révolutions démocratiques, toute indulgence envers la brutale vengeance et la mise à mort expiatoire. Par Laurent Joffrin
La mort, la mort toujours recommencée… La fin de Mouammar Kadhafi, saluée trop souvent sans réserve par les pouvoirs qui s’étaient compromis avec lui, laisse dans l’esprit de tous les démocrates un goût amer. On ne sait exactement comment a été tué le tyran déchu. Balle perdue ou exécution ? L’homme était en tout cas vivant quand il a été pris. Il appartenait, dès lors, à ceux qui luttaient pour des valeurs nouvelles, de lui conserver la vie. Accident ou vengeance ? Dans les deux cas, la Révolution libyenne a failli.
On dira que cet Ubu des sables, qui avait dressé son trône sur un puits de pétrole, imposait à la Libye un régime absurde et criminel, qu’il conjuguait avec impudence le crime, le stupre et la corruption, dans une dilatation bling-bling de la volonté de puissance. On dira qu’à l’heure du danger, il a retourné contre son peuple les armes qui lui avaient complaisamment vendues les puissances occidentales, ajoutant le massacre à l’indignité. On ajoutera qu’il n’était, au moment où l’aviation française l’a intercepté, qu’un fuyard couvert de sang, qui rejoignait ses comptes en Suisse dans un convoi de berlines aux vitres fumées, laissant ses derniers partisans faire preuve d’héroïsme à sa place. On dira, en un mot, qu’il n’a eu que ce qu’il méritait.
C’est là que réside la faute. Quel sens avait la révolution libyenne, sinon la lutte contre l’arbitraire, le refus des solutions expéditives, l’avènement de la loi, en lieu et place de la dictature ? Quel sens avait l’intervention des puissances alliées – hautement justifiée dès lors qu’il s’agissait de venir au secours d’un peuple opprimé – sinon la mise en place d’un état de droit qui proscrive, justement, les assassinats politiques et les exécutions illégales ? S’il l’on restait cohérent avec les principes originels, il fallait arrêter Kadhafi, le maintenir coûte que coûte en vie et le traduire, selon les formes régulières, devant un tribunal où il aurait répondu de ses crimes. Les moyens employés en l’occurrence contredisent directement les fins proclamées.
A l’exemple de Camus plaidant contre les exécutions capitales à la Libération, nous devons refuser, dans la saga des révolutions démocratiques, toute indulgence envers la brutale vengeance et la mise à mort expiatoire. Le procès de Kadhafi eût fait progresser l’enseignement du peuple et conforté, dans une société qui ne la connaît que de loin, de la logique de la liberté. Kadhafi était un criminel. Son exécution n’en demeure pas moins un crime. Elle n’offre aux Libyens qu’une leçon cynique : au lieu de la fermeté de la justice, on a choisi ou accepté l’éternel retour de la violence. Inquiétant début pour la démocratie libyenne.

« Personne n’ouvrira le corps de Kadhafi »


Comment exactement est mort Mouammar Kadhafi ?
- Rien de plus difficile à savoir. Kadhafi, 69 ans, se cachait dans une canalisation sous une route lorsqu’il a été retrouvé par des combattants du CNT. L’aviation de l’Otan avait quelques heures plus tôt frappé un important convoi de véhicules fuyant la ville de Syrte. Des vidéos amateur montrant un Kadhafi capturé vivant, violenté et lynché par les combattants avant sa mort près de Syrte, sa ville natale, viennent contredire la version officielle du CNT, laissant penser qu’il est mort dans une fusillade. Le Conseil national de transition évoque en effet un échange de tirs lors duquel le « guide libyen » a été touché d’une balle dans la tête, mais qu’ »il était vivant jusqu’à son arrivée à l’hôpital » de Misrata. Mais d’autres responsables du CNT ont affirmé à la presse que l’ex-leader avait succombé à ses blessures avant d’arriver à l’hôpital ou qu’il avait été tué par des combattants après avoir été capturé. Un médecin qui a examiné son corps affirme pour sa part que l’ancien homme fort de la Libye a été touché mortellement par balle au niveau des intestins. Quant à l’Otan, elle affirme qu’elle ignorait la présence de Mouammar Kadhafi dans le convoi pris pour cible à la sortie de Syrte jeudi.
Une vidéo sème un peu plus le trouble
Pour embrouiller davantage ces informations contradictoires, une combattant du nouveau régime affirme, dans une vidéo mise en ligne vendredi sur internet, avoir capturé Kadhafi avant de le tuer de deux balles. Les images montrent des hommes interrogeant dans un bureau le jeune combattant d’une brigade de Benghazi, qui donne comme nom Sanad Al-Sadek al-Oureibi, né en 1989, et le félicitant. Ils montrent à la caméra une bague en or et une veste maculée de sang présumées de Kadhafi, que le jeune homme affirme avoir arrachées avant de laisser les combattants du nouveau régime emmener Kadhafi après sa capture à Syrte, dans sa région natale à 360 km à l’est de Tripoli. Selon eux, le nom de la deuxième épouse de Kadhafi, Safia Farkech, et la date de leur mariage, le 10 septembre 1970, sont gravés sur la bague. Le combattant explique avoir voulu tuer l’ex-dirigeant quand des combattants de Misrata, bastion anti-Kadhafi au nord-ouest de Syrte, ont voulu l’emmener. « Je lui ai tiré deux balles, une sous l’aisselle et l’autre dans la tête. Il n’est pas mort tout de suite. Il a mis une demi-heure ». Il ajoute avoir perdu les autres membres de sa brigade et décidé de se joindre à des combattants de Misrata pour ratisser la ville de Syrte tombée jeudi aux mains des forces du nouveau régime. « Nous avons croisé Kadhafi dans une rue alors qu’il marchait avec des enfants et des jeunes filles. Il portait un chapeau. Nous avons reconnu ses cheveux. Un combattant de Misrata m’a dit : c’est Kadhafi, qu’on l’attrape », poursuit-il. Il affirme avoir « neutralisé le dirigeant déchu, qui portait un pistolet en or », en l’entourant des bras. Il dit avoir voulu l’emmener à Benghazi. « Mais quand les combattants de Misrata ont insisté pour le prendre chez eux, j’ai tiré sur lui ».
Enquête et transparence demandées – D’où la demande de l’ONU : elle a réclamé vendredi une enquête pour éclaircir les circonstances de la mort du dictateur, le Haut commissariat de l’ONU aux droits de l’Homme soulignant qu’il y a « 4 ou 5 versions » > voir la vidéo : Il y a « quatre ou cinq versions de la mort » de Kadhafi, selon l’ONU. Une demande émanant aussi de la veuve de Kadhafi, réfugiée en Algérie, d’Amnesty International et des Etats-Unis. La Russie a, elle, estimé que Kadhafi aurait dû être traité comme un prisonnier de guerre, dans le respect des Conventions de Genève, et n’aurait pas dû être tué, et les Etats-Unis ont demandé au CNT « la transparence ».

Lire aussi l’analyse d’Eric David, spécialiste du droit international > « En bombardant le convoi de Kadhafi, l’Otan a violé le droit international »
Quand et où sera-t-il enterré ? 
- Le corps de Kadhafi, conservé sous haute garde à Misrata dans une chambre froide, le contrôle des armes de l’ancien régime et de ses ressources pétrolières sont autant de motifs de désaccord entre les factions qui ont renversé ce régime autoritaire. Ces rivalités régionales et tribales repoussent la date de l’enterrement de Mouammar Kadhafi, dont la tempe porte la marque d’une balle et le corps les stigmates de son arrestation mouvementée. Vendredi, des membres du CNT ont affirmé que Kadhafi serait sans doute enterré dans un lieu secret pour éviter tout pèlerinage sur sa tombe à l’avenir. En attendant, des milliers de Libyens défilaient, samedi, pour voir et prendre en photo la dépouille du « guide » déchu. De son côté, la famille de Mouammar Kadhafi a réclamé vendredi sa dépouille ainsi que celle de son fils Mouatassim, et appelé à une enquête sur les circonstances de leur mort.
Pas d’autopsie – Un responsable du conseil militaire du Conseil national de transition (CNT), basé à Misrata, a annoncé samedi qu’aucune autopsie ne serait pratiquée sur le cadavre de l’ancien dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, dont. « Il n’y aura pas d’autopsie aujourd’hui (samedi), ni un autre jour. Personne n’ouvrira le corps (de Kadhafi) », a déclaré à un journaliste de l’AFP le porte-parole du conseil militaire de Misrata, Fathi Bachagha.

A quand la libération officielle ? 

- Les nouvelles autorités libyennes se préparaient à proclamer dimanche la « libération » totale du pays, après la mort du dirigeant déchu Mouammar Kadhafi et la chute de son dernier bastion qui ont mis un point final à 42 ans de règne sans partage. « C’est confirmé. Nous annoncerons la libération totale de la Libye dimanche sur la place du tribunal de Benghazi », a déclaré vendredi un responsable du Conseil national de transition (CNT) sous couvert de l’anonymat. C’est sur cette place sur le front de mer, rebaptisée place des Martyrs, à un millier de kilomètres à l’est de Tripoli, que les opposants -devenus ensuite des rebelles puis les nouvelles autorités-, avaient défié le régime Kadhafi aux premiers jours de la révolte à la mi-février. Cette proclamation doit mettre ainsi fin à un conflit qui a duré huit mois et coûté la vie, selon le CNT, à au moins 30.000 personnes. Début septembre, le CNT avait publié une feuille de route vers une nouvelle « Libye libre », qui prévoit la mise en place un mois après la libération d’un gouvernement de transition chargé d’organiser en huit mois des élections générales et de remettre ses pouvoirs à une Assemblée élue. Un calendrier confirmé samedi par le CNT. Mais pour le numéro deux CNT, « la reconstruction de la Libye ne sera pas une tâche facile. C’est la Mission impossible de Tom Cruise ». « La stabilité et l’ordre dans le pays doivent être restaurés, ce qui nécessite la collecte d’armes dans les rues (…) qui n’est pas une opération aisée ».
Où est le fils ? 
- 32 proches du dictateur, dont son fils Seif Al-Islam, trois généraux et l’ancien chef des services de sécurité, auraient trouvé refuge au Niger. La fuite de l’ex-dauphin présumé du « guide » laisse un goût amer aux nouvelles autorités. Il se cachait également à Syrte avec un autre fils de Kadhafi, Moutassim, tué alors qu’il tentait de résister à ses gardes, selon un responsable militaire du CNT.
Kadhafi a-t-il investi 200 milliards à l’étranger ? 
- Mouammar Kadhafi a fait sortir secrètement de Libye pour les investir à l’étranger plus de 200 milliards de dollars, soit le double de la somme avancée jusqu’ici par les gouvernements occidentaux, a affirmé vendredi le quotidien américain Los Angeles Times. Selon le journal, qui cite des haut responsables libyens anonymes, des membres de l’administration américaine ont découvert au printemps dernier que le régime libyen possédait quelque 37 milliards de dollars sur des comptes et dans des investissements aux Etats-Unis. Les responsables américains ont rapidement gelé ces avoirs afin d’empêcher que des proches du leader libyen ne les transfèrent ailleurs, indique encore le Los Angeles Times. Les gouvernements français, italiens, britannique et allemand auraient saisi de leur côté quelque 30 milliards de dollars. Des enquêteurs avaient précédemment estimé que Kadhafi avait peut être  détourné 30 autres milliards de dollars autre part qu’aux Etats-Unis sur un total de quelque 100 milliards de dollars. La plupart de ces fonds étaient placés dans des institutions gouvernementales libyennes comme la Banque Centrale de Libye, la Compagnie pétrolière libyenne, la Banque extérieure de Libye, ainsi que des compagnies  d’investissements telle que la Libya African Investment Portfolio.
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