mercredi 7 septembre 2011

Le long voyage de retour des mercenaires touaregs


L'Express.fr

publié le 07/09/2011 à 09:10, mis à jour à 09:10

Recruté pour 1.000 dollars par mois, doté d'une Kalachnikov et de munitions, Agali Ghissa pensait que son travail consistait à défendre la Libye de Mouammar Kadhafi contre des insurgés pauvrement armés.

Aujourd'hui, ce modeste marchand est de retour parmi les siens, le peuple nomade touareg, dans les montagnes du Niger. Sa brève carrière comme mercenaire a été stoppée par la campagne de bombardements de l'Otan que ni lui, ni bon nombre de ses camarades combattants, n'avaient vu venir.
"Pour nous, c'étaient des rebelles qu'on allait combattre, pas une armada aérienne", déclare-t-il à Reuters dans le massif de l'Aïr, dans le nord du Niger, près de la ville de Dabaga, à 45 km au nord d'Agadez, la capitale régionale.
"Maintenant, on est revenus ici pour vivre en paix. Les armes, c'est fini pour moi", ajoute Agali, assis à côté d'un autre déserteur, Mahmoud Ahmed, un Touareg de double descendance libyenne et nigérienne.
C'est dans cette partie du Sahara qu'un convoi de plusieurs dizaines de véhicules militaires libyens est passé lundi, alimentant les rumeurs d'une fuite en exil de Mouammar Kadhafi et de son clan.
Même si l'on ignore la destination finale de ce convoi, Agali et Ahmed parlent des liens complexes entre la Libye de Kadhafi, ses pays voisins plus pauvres comme le Niger, et les Touaregs qui ne connaissent pas les frontières du désert.
Dans un pays où le salaire journalier peut n'atteindre qu'à peine un dollar, Agali a sauté sur l'occasion quand des recruteurs libyens lui ont proposé en mars dernier 1.000 dollars par mois pour rejoindre les combats en Libye.
À PIED OU EN STOP
Avec 40 autres Touaregs ou Noirs africains, il a été conduit dans l'oasis de Sabha où on lui a donné un fusil, des balles, une avance d'un mois de salaire, avant de lui donner l'ordre de rejoindre Zaouïah, 50 km à l'ouest de Tripoli, et de défendre la raffinerie de la ville.
Par chance, il a retrouvé là-bas Mahmoud Ahmed, 37 ans, un vieil ami qui comme beaucoup de Touaregs du Niger ou du Mali, avait trouvé un emploi quelques années plus tôt comme soldat régulier dans l'armée libyenne.
Au départ, tout s'est bien passé mais au fil des semaines, les attaques de l'Otan se sont transformées en "déluge de bombes", selon ses propres termes.
"Comment peut-on affronter une force qu'on ne voit pas, qui frappe sans que vous soyez capable de riposter?" interroge Mahmoud.
"Quand vous êtes sain d'esprit, la meilleure chose à faire est d'accepter la défaite", poursuit-il. "C'était chacun pour soi. Nous avons abandonné nos armes sur place, au milieu de dizaines de cadavres qui pourrissaient au soleil."
Mais le voyage de retour n'a pas été facile. Au sein d'un groupe d'une vingtaine d'autres Africains, les deux amis ont dû éviter les barrages routiers contrôlés par les forces kadhafistes, toujours à l'affût de nouvelles recrues.
"A certains endroits, ils avaient répandu du pétrole sur la route pour bloquer la circulation", raconte Mahmoud.
Avançant parfois à pied, loin des grands axes routiers, parfois pris en stop par d'autres petits groupes de déserteurs, Agali et Mahmoud ont cheminé jusqu'au massif de l'Aïr en passant par l'Algérie.
On ignore combien d'autres combattants touaregs ont effectué le même trajet ces dernières semaines. Pas plus d'une centaine, disent les chefs locaux, à comparer aux milliers de Touaregs qui ont servi pendant des années dans les rangs de l'armée libyenne.
Plusieurs dirigeants touaregs s'efforcent aujourd'hui de convaincre le conseil intérimaire au pouvoir à Tripoli de mettre un terme aux attaques de représailles contre les Africains généralement assimilés par les nouvelles autorités à des mercenaires. En échange, ils exhortent les Touaregs à rester en Libye et à se rallier aux nouvelles autorités.
Mais Agali et Mahmoud ne peuvent cacher l'admiration qu'ils continuent d'éprouver pour Mouammar Kadhafi.
"Kadhafi était et demeure un grand homme", dit Mahmoud.
"Son erreur a été de ne pas voir que la rébellion était manipulée par l'Occident qui voulait la fin de son règne. J'espère qu'il trouvera l'exil quelque part plutôt que d'être humilié par une capture."
Jean-Stéphane Brosse pour le service français

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