mercredi 31 mars 2010

L'ex-otage français au Mali Pierre Camatte parle sur RFI


L'ex-otage français au Mali Pierre Camatte parle sur RFI
Reuters/Eric FeferbergPar RFI

Le Français Pierre Camatte a été l'otage d'al-Qaïda dans le désert malien durant 89 jours. Le 23 février, il a été libéré contre quatre membres du groupe terroriste. Aujourd'hui, il témoigne sur l'enfer qu'il a vécu. Et comme il parle sur RFI, il adresse aussi plusieurs messages à ses amis maliens. Des amis qui ne vont pas tous le rester.

RFI : Pierre Camatte, bonjour..
Pierre Camatte : Bonjour...
RFI : Ce qui frappe dans votre témoignage, c'est la dureté de vos quatre-vingt-neuf jours de captivité. Plusieurs fois, je crois, vos ravisseurs vous ont menacé de mort. Est-ce qu'ils avaient quand même pitié de vous quelquefois ?
P.C : J’ai subi, surtout au début, des séances d'intimidation avec des menaces de mort directes, à savoir le canon braqué sur moi en me disant : « ça c' est pour toi », ou des gestes mimant l’égorgement en disant : « voilà, ça c'est pour toi également ».
RFI : Ils vous ont fait des simulacres d'exécution ?
P.C : Non. Il n’y a pas eu de simulacre d'exécution. En revanche, de temps en temps des coups... Des coups qui venaient d'ailleurs toujours des mêmes personnes. Souvent, ces coups étaient donnés à l'insu des autres membres du groupe. Donc je me demandais tous les jours, surtout quand je voyais arriver ces deux personnes, quel allait être mon sort ? Et je craignais tous les jours pour ma vie. Il y avait des gentils si on peut les appeler comme ça, et des méchants.
RFI : Et est-ce qu'avec ces « gentils » vous avez pu échanger sur la religion, sur la politique…

P.C : C'était assez difficile d'échanger avec eux, d'abord peut-être parce qu'ils avaient une consigne de ne pas parler à l'otage. Mais par exemple, celui avec qui j'étais le plus en contact, c’était celui qui m'apportait le plus souvent à manger et à boire, le cuisinier. On avait l'occasion de discuter un tout petit peu en anglais. Une des questions qui revient très très vite quand on établit un contact, c'est : quelle est ta religion ? Moi, par conviction personnelle, je ne suis pas croyant donc je me suis rabattu sur les valeurs humaines et universelles.

RFI : Et ça, il comprenait ?
P.C : Il l’entendait. Mais très rapidement, on en revenait à l'islam. Et ce n’était pas tellement une discussion, c’était surtout un exposé qui démontrait l'obligation ou presque d'adhérer à l'islam pour être sûr de gagner le paradis.

RFI : Pour eux, il n'y a pas d'autres religions ?
P.C : Pour eux, la religion qu'ils pratiquent c'est la seule et la vraie religion.
RFI : Pas de respect pour le christianisme...
P.C : Non. On a parlé parfois de Jésus. Parce que Jésus est un de leurs prophètes, mais c’est tout. Il y a un qui m'a dit une fois, d’ailleurs ça m’a surpris, que Jésus avait soi-disant annoncé que lorsque Mahomet viendrait, il le suivrait et les chrétiens n'avaient en fait pas suivi cette voie. C’est sans doute une sorte d'interprétation, ça m’a surpris, je ne connaissais pas ça.
RFI : Quel était votre principal « tort » à leurs yeux ? Le fait de porter un prénom chrétien, Pierre, ou le fait d'être Français ?
P.C : Je ne parlerai pas de tort. Je parlerai plutôt d’avantage. L’avantage de m’avoir comme otage c'était d'avoir un Européen, puisque c’était la marchandise, la monnaie d'échange pour pouvoir récupérer soit une rançon, soit comme ça s’est passé pour moi, « des frères » comme ils les appellent.
RFI : Ils ne vous ont pas plus menacé parce que vous étiez Français ?
P.C : Pas du tout. Enfin, moi je ne l’ai pas senti en tout cas.
RFI : Alors, lors de certains regroupements, vos ravisseurs étaient nombreux, jusqu'à une trentaine je crois. Ils étaient très jeunes. Pourquoi s'étaient-ils lancés dans un tel combat très risqué ?
P.C : Au travers du peu de conversations que je pouvais avoir, j'ai quand même su qu’ils recrutaient plutôt par relation ou par famille. Et il me semblait qu’ils étaient tous arabophones et que la plupart devaient venir d’Algérie. Ce sont des jeunes qui n'ont pas de boulot. Peut-être aussi la perspective d'appartenir à un groupe al-Qaïda... Peut-être est-ce pour eux une référence dont ils peuvent tirer une certaine fierté.

RFI : Et le mot Ben Laden revenait souvent dans leur bouche ?
P.C : Non, non pratiquement pas. Tout au début, quand je leur ai demandé : « mais qui êtes-vous exactement ? », ils se sont identifiés comme Moudjahidine, al-Qaïda. Et puis à ce moment-là, en mimant les avions qui arrivaient sur les tours de New York, ils ont parlé de Ben Laden.
RFI : A quelques occasions, vous avez vu leur chef Abou Zayed. Quelle impression vous a-t-il fait ?
P.C : D'abord, je ne savais pas que c’était Abou Zayed, je l'ai appris seulement après ma libération, quand on en a parlé avec les personnes qui m’ont récupéré. C’est un petit bonhomme qui n’a absolument aucune prestance particulière, avec une petite barbichette, un peu rachitique si on peut dire mais on sentait quand même de la part des autres membres des équipes qu'il avait une autorité. Donc, il était un peu éloigné du reste du groupe et pour venir lui parler, c'était comme si il fallait entrer dans un bureau…
RFI : Il y avait des gardes autour de lui ?
P.C : Oui, il avait souvent une ou deux personnes qui étaient avec lui. Et puis il était toujours dans des documents devant lui ou sur son téléphone satellitaire à Touria. Maintenant, l'impression qu’il m'a faite, c’est l’impression de quelqu'un qui voulait simplement des renseignements. Parce qu’il a procédé à des interrogatoires avec moi, par l'intermédiaire d'un interprète en anglais. Je n'ai jamais senti chez lui quelque forme dhumanité. Une sorte de robot, une machine qui est programmée pour faire ce qu'elle doit faire, le reste ne l'intéresse pas.

RFI : Il était plus âgé que les autres ?
P.C : Oui, il avait environ la cinquantaine.
RFI : Sur le moment, vous ne saviez pas que vous aviez affaire à Abou Zayed. Avec le recul, qu'est-ce que ça vous fait d'avoir été dans les mains de l'homme qui a tué l'otage britannique Edwin Dyer il y a un an ?
P.C : A posteriori, ça me fait des sueurs froides. J’étais loin de me douter que j’étais directement en contact avec cette personne. Je l’ai rencontré trois ou quatre fois et puis je ne l’ai su qu'à la fin, juste après ma libération. La personne qui est venue me libérer m’a demandé si j'avais été en contact avec ce petit bonhomme et c’est lui qui m’a dit que c’était Abou Zayed et que c’est peut-être même lui qui aurait de ses mains assassiné l’Anglais dont vous parlez.
RFI : Donc j'imagine que vous avez encore quelques nuits difficiles...
P.C : C'est pas toujours évident, parce que j'ai passé trois mois à penser que je pouvais mourir chaque jour, chaque nuit. Ce qui fait que la nuit j’étais toujours en état d’hyper vigilance. Le moindre petit bruit me fait sursauter. Et c'est toujours le cas pour les nuits que je passe maintenant, le moindre bruit me fait sursauter, j’ai mon cœur qui commence à battre très très fort, je crains pour ma vie, j'ai peur qu'on vienne défoncer ma porte pour me chercher… Enfin, il y encore ces images très très fortes qui me dérangent. Sinon pour le reste, physiquement ça va, j’ai récupéré et puis le temps fera sans doute son œuvre...
RFI : Alors Pierre Camatte, avant votre captivité, vous étiez plus qu'un Français du Mali, vous étiez un peu Malien. Est-ce que c'est fini tout ça ou pas ?
P.C : On ne peut pas faire une croix sur quinze années de contact, d'amitié et de travail en commun avec les Maliens, avec les touaregs du nord du Mali. Donc on ne peut pas dire que ça soit fini. C'est la forme qui va être finie, c'est-à-dire que je ne suis pas prêt de retourner sur ce terrain avant un temps indéterminé. En revanche, mon projet de lutte contre le palu, je ne l’abandonne pas, le travail va continuer sous une autre forme.

RFI : Oui, c'est-à-dire que vous gardez vos amis maliens...
P.C : Je garde mes amis maliens même si il me semble que certains d'entre eux, surtout ceux qui ont une certaine autorité sur la région là-bas, ne sont pas exempts de reproches sur ce qui s'est passé, c’est-à-dire mon enlèvement. Parce qu'ils ont certainement eu connaissance d’un certain nombre de choses, mais peut-être n'ont-ils pas voulu les regarder... Donc je ne pourrai jamais oublier qu'il y a quand même certaines personnes qui sont plus ou moins responsables, consciemment ou inconsciemment, de ce qui m'est arrivé et de mes souffrances.

RFI : Mais par négligence ou par complicité ?

P.C : J’oserais plutôt dire par négligence ou par omission. Si c’était vraiment par complicité, ça serait vraiment de la trahison. Je n’irai pas jusque-là.
RFI : Peut-être savaient-ils des choses mais n’osaient-ils pas en parler par peur. C’est ça ?
P.C : Sans doute une sorte d’omerta où tout le monde se couvre parce que si jamais il y en a un qui parle, c’est toute une chaîne qui s'écroule…
RFI : Est -ce que vous voulez dire quelque chose au président Amadou Toumani Touré ?
P.C : Evidemment, j’ai déjà eu l'occasion de le lui dire en face à face, quand je l’ai rencontré juste après ma libération. Je voudrais d'abord le remercier chaleureusement, parce qu'il a pris des décisions courageuses et pas forcément faciles. Ses partenaires qui lui ont tourné le dos pendant un moment se rendent compte aujourd'hui - parce qu' il y a toujours des otages au Mali – qu’ils sont confrontés eux-mêmes à ce problème. Donc c’est à eux aussi de prendre leurs responsabilités. Cette malheureuse affaire, je peux vous en parler aujourd'hui parce que je suis vivant, mais si mon aventure malheureuse peut apporter quelque chose dans la lutte et la volonté politique de lutter contre le terrorisme et de débarasser le Sahara d’Al-Qaïda, j’en serai le plus heureux.

RFI : Pierre Camatte merci et bonne chance dans la vie.
P.C : C' est moi qui vous remercie...
tags : al-Qaïda - Mali


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