mardi 23 mars 2010

La responsabilité d’AREVA dans la souffrance des nigériens


GARBA Abdoul Azizou (Science-po-UCL-Belgique)
Transparence N° 19 - Mars 2010
La responsabilité d’AREVA dans la souffrance des nigériens
mardi 23 mars 2010

Avec 15,3 million d’habitants (UN) et une superficie de 1.267.000km2, soit trois fois la France, le Niger est le deuxième producteur mondial d’uranium. Paradoxalement, c’est aussi le pays le plus pauvre du monde. La population essentiellement rurale (70%), vit avec moins d’un dollars par jour et par personne. Selon le PNUD 40% des nigériens ont accès à l’eau potable, tandis que 6,5% seulement ont accès à l’électricité qui du reste, est importée du Nigeria. Depuis 1974, le pays est confronté à des crises alimentaires cycliques liées à des facteurs structurels et conjecturels. Sur le plan politique, la situation est similaire. En cinquante ans d’indépendance, le Niger n’a pas eu quinze années d’exercice démocratique du pouvoir. De crise politique en coup d’état militaire, les nigériens sont toujours à la recherche d’une vie politique saine. C’est dans ces conditions typique d’un État en faillite, qu’Areva fait main basse sur l’uranium nigérien. Comme un rat des égouts, Areva trouve dans la misère nigérienne les 40% d’uranium qui font fonctionner les quelques 58 réacteurs nucléaires français et d’autres pays de l’Europe. La présence de la France au Niger ne date pas d’hier. D’abord pays colonisateur de 1890 à 1960, la France est devenue un pays exploiteur du Niger à partir de 1968, soit huit ans seulement après la proclamation de l’indépendance. Les gisements d’uranium découverts à cette époque sont exploités par Areva à travers deux sociétés " locales " (SOMAIR ET COMMINAK). En 40 ans, 100.000 tonnes d’uranium ont été retirées du sous-sol nigérien par Areva. La coopération entre la France et l’Etat du Niger n’est pas si différente d’une situation coloniale.

De la convoitise au contrat maléfique
La découverte du " pétrole " d’Agadem et de l’uranium d’Imouraren respectivement au nord et nord-est, a permis au Niger d’être courtisé par des pays industrialisés comme la Chine, la France, le Canada, L’Australie etc. Ces ressources naturelles intéressent tellement ces pays que tous les moyens sont utilisés pour séduire le pays le plus pauvre du monde. La bataille n’a pas été facile pour Areva qui a en face d’elle le dragon chinois qui engloutit tout sur son passage. La présence chinoise dérange énormément la France qui ne peut pas se passer de l’uranium du Niger. Si la Chine s’accapare des principaux sites d’uranium, c’est " l’indépendance " énergétique française qui en pâtira, et certains pays de l’Europe avec elle.

Il fallait donc agir avec rapidité et efficacité pour persuader les autorités du Niger de ne rien signer avec la Chine dans ce domaine même si pour cela, il faut soutenir un " potentiel dictateur " prêt à ruiner son pays. Pour trouver un terrain d’entente, la France a décidé d’augmenter à hauteur de 50% le prix du kilogramme d’uranium par rapport au prix qu’elle a toujours payé depuis 1968, c’est-à-dire à 42 EURO le kilogramme. Même si avec 50% d’augmentation, le prix est passé à 84 EUR0, il faut retenir que sur le marché mondial, le kilogramme se vend à 186 EURO. Après plusieurs tractations et un intense lobbying plus ou moins occultes, brodées de corruption et de promesses politiciennes, le groupe Areva a obtenu le permis d’exploitation de ce grand gisement minier d’Imouraren en janvier 2009.

Ce contrat signé entre l’État du Niger et le groupe Areva est considéré par le gouvernement français comme le plus gros contrat pour l’État du Niger. Ce contrat qualifié de " gagnant-gagnant " s’étend sur 35 ans et prévoit une exploitation de 5.000 tonnes par an, dont 66,65% pour Areva et 33,35% pour le Niger. Le Niger aurait donc 1667,5t qui serait ensuite vendus à Areva à 84.000 EUR la tonne, soit 140 028 000 EUR par an. Or en vendant sa part sur le marché international, le Niger percevrait trois fois plus de revenus. Pour ce projet d’Imouraren, Areva entend invertir 1milliads d’euro, qui est récupérable en moins de trois ans seulement sur les 35 ans d’exploitation.

Cela revient à dire que pendant 30 ans Areva aura accès pour l’approvisionnement de ses réacteurs, à 3332,5 tonnes d’uranium par an, presque gratuitement. Pour s’assurer que tout est bien ficelé, le président Sarkozy a effectué une visite à Niamey le 27 mars 2009. Au coeur de cette visite : la sauvegarde des intérêts d’Areva, mais aussi l’occasion de rendre hommage à Tandja. Pour Sarkozy, " la seule période en cinquante ans de démocratie et de stabilité, c’est celle des deux mandats du président Tandja ". Du coup ce dernier a manifesté son intention de rester au pouvoir au-delà de son dernier mandat légal. A cette dangereuse initiative de Tandja, Sarkozy ne trouvait pas d’inconvénient si la classe politique pouvait s’entendre dans ce sens.

La suite nous la connaissons, L’ex président Tandja a saisi l’occasion pour perpétrer un coup force, après avoir dissout l’assemblée nationale, la cour constitutionnelle et organisé un referendum illégal qui lui accorde trois années supplémentaires au pouvoir. Ce crime prémédité et perpétré par Tandja a automatiquement plongé le Niger dans une crise politique sans issue. L’aboutissement de celle-ci fut le coup d’Etat militaire du 18 février dernier. Revenons sur les propos du président Sarkozy pour dire d’abord le Niger n’a jamais connu cinquante ans de démocratie et que le seul arrangement en démocratie, c’est l’organisation d’élections libres et transparentes.

En dehors de cellesci, toute sorte d’arrangement ou de bricolage politique dans le but de garder le pouvoir ne peut que générer une crise aux multiples enjeux. Ensuite, rendre hommage à un potentiel tyran, c’est l’encourager à inventer des nouvelles méthodes d’oppression. Tandja voyait dans les compliments de Sarkozy, une raison de plus d’aller contre les lois du pays. Cette spécialité. Des dirigeants français qui sont les premiers soutiens des dictatures africaines provoquent un malaise même au sein de l’union européenne. Pour sauvegarder ses intérêts en Afrique, la France est prête à piétiner les principes européens et ignorer les lois Africaines.

A titre de comparaison, le président américain Barack Obama par contre n’est pas passé par quatre chemins pour rappeler aux potentiels dictateurs Africains qu’ils n’ont plus de place au 21 e siècle. " L’Afrique n’a pas besoin d’homme fort, mais des institutions fortes ". Pour Obama il n’est plus question de coopérer avec les dictateurs, des corrompus et bourreaux de leur peuple. Pour Sarkozy et la France au contraire, c’est l’intérêt avant tout. Si la France peut continuer à piller les ressources naturelles de nos pays, elle n’aura aucun problème à coopérer avec le diable.

Le cynisme d’une décision unilatérale.
Le projet d’exploitation d’Imouraren, prévu pour 2012, vient d’être reporté pour 2014. Pour quelle raison ? Selon le porte-parole d’Areva à Niamey, la crise financière en est la raison principale . En effet, Areva n’est pas financièrement prête pour démarrer l’exploitation d’Imouraren. Cette justification ridicule, génère a priori les questions suivantes : quel est le coût global du projet avant et après la crise financière ? Comment ce coût global a-t-il été réévalué sans avoir d’incidence sur le montant de l’investissement ? Qui perd dans cette déprogrammation ? Pour cette dernière question, je dirai qu’Areva ne perd rien ; elle exploite déjà les deux gisements d’uranium de Somair et Cominak qui produisent moins de 5000t par an.

En dehors de cette réserve nigérienne, Areva vient de signer un contrat d’exploitation d’uranium avec la Jordanie pour 25 ans, ce qui la met à l’abri d’un manque pour quelques années. Celui qui perd, c’est bien le Niger ! Malgré le besoin urgent en finances, le Niger va devoir attendre trois ans pour espérer profiter des miettes de son uranium. Areva s’est octroyé 3 ans supplémentaires pour démarrer le projet. Avec ce report, c’est 1400 emplois permanents qui sont suspendus, sans compter le manque à gagner pour l’Etat qui doit faire face à la crise Alimentaire qui s’annonce. En effet ce report de l’exploitation est une difficulté de plus pour le gouvernement de transition. Les conséquences seront graves, tant sur le plan économique que politique.

La réussite de la transition actuelle dépend de la capacité du gouvernement à mobiliser assez de ressource financière pour la mise en oeuvre de sa feuille de route et d’assurer le fonctionnement de l’administration. Politiquement la France met l’Etat du Niger dans une position de faiblesse. Avec le report, l’investissement peut prendre la forme d’un prêt préférentiel, une sorte d’avance sur contrat remboursable avec intérêt. Autrement dit, le Niger risquera d’hypothéquer sa part avant même le démarrage du projet. Si une telle stratégie est envisagée par Areva, le Niger va perdre 3 à 4% sur la part globale, au lieu de 33,35% nous risquerons de retrouver avec 29% au moins pour quelques années.

Même si Areva prétend avoir un petit souci d’argent, elle doit être convaincante envers l’Etat du Niger et des Nigériens. De toute façon depuis un certain temps, elle est trop endettée et n’arrive à tenir encore que grâce aux contribuables français. Une raison de plus pour que Sarkozy joue au partenaire cupide. Selon Greenpeace : " À l’été 2008, le niveau d’endettement du groupe Areva était d’environ 4,5 milliards d’euros. Le groupe était peu disposé à contracter de nouvelles dettes. Il aura néanmoins besoin de 10 milliards d’euros pour financer ses besoins d’investissement au cours des quatre prochaines années, ainsi qu’environ 2 milliards pour racheter la participation de Siemens dans Areva NP " .

Si les raison du report du projet d’Imouraren sont liées à cette difficulté financière du groupe, je pense que les Nigériens ont le droit de le savoir de façon clair et nette. Dans ce contexte, je dirai qu’Areva ne fait pas seulement du tort au Niger, mais également aux contribuables français. Ces derniers, sans le savoir peutêtre, soutiennent une société privée qui peut basculer à tout moment à cause de " ses stratégies hasardeuses " comme l’avait indiqué Greenpeace dans sa note. Cela ne va arriver si tôt toutefois vu l’ampleur du mouvement mondial en faveur du nucléaire civil. Areva devra assurer l’indépendance énergétique de la France grâce à l’uranium du Niger, et le gouvernement français ne la laissera jamais couler même s’il faut vider les comptes des français en créant d’autres taxes.

D’autre part, le besoin en énergie est tel que des nouveaux réacteurs nucléaires sont en train d’être installés dans des pays comme la Chine et l’Inde, véritables marchés pour Areva. Selon le Dr Thomas Chaize, à long terme le prix de l’uranium va connaître une forte hausse pour plusieurs raisons : - Offre : Il faut de nombreuses années entre l’augmentation des prix de l’uranium et l’ouverture des nouvelles mines d’uranium.
Demande : la demande va augmenter à cause du grand nombre de centrales en construction.
Le décalage entre l’offre et la demande d’uranium est très ancien et les stocks arrivent donc à échéance. - La hausse du prix du pétrole incite à se tourner vers d’autres types d’énergie (charbon, gaz, et uranium). - La demande en électricité devrait continuer à augmenter dans les prochaines années, surtout en Chine.
Les problèmes de réchauffement climatique incitent les pays à construire des centrales nucléaires.

Pour résumer, l’uranium comme le pétrole et le gaz naturel vont voir leur prix augmenter dans les années à venir, et les raisons sont identiques : augmentation de la demande et baisse de l’offre. Finalement on se rend compte que le contrat du gisement d’Imouraren ne profite en rien à l’Etat du Niger. Au contraire, la population de la région des mines est très exposée à l’activité radioactive. Une contamination dans certains villages est déjà dénoncée par Greenpeace. En marge de ces effets sanitaires, l’exploitation de l’uranium au Niger a favorisé la corruption dans le milieu gouvernemental et la naissance d’une mafia autour des permis miniers. A cela s’ajoute une insécurité quasi permanente qui aggrave la souffrance des populations.

Aucun commentaire: