vendredi 22 janvier 2010

MALI - L'islam radical n'est pas en odeur de sainteté


Dans Courrier International du 21 janvier 2010
article paru dans
THE WASHINGTON POST (article du 21 décembre 2009)

Les actes terroristes revendiqués par une branche locale d'Al-Qaïda se multiplient dans la région Mais les thèses islamistes ne séduisent guère la population locale, attachée à la tolérance.

Meurtre d'un enseignant américain et attentat suicide en Mauritanie, enlèvement de deux diplomates canadiens au Niger, assassinat d'un touriste britannique et d'un colonel malien au Mali. Depuis un an environ, le désert semble proposer une version violente de l'islam dans les régions modérées de l'Afrique de l'Ouest. Ces actes, revendiqués par le groupe extrémiste Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), seraient commis en majorité par des Algériens en Mauritanie. Mais leur base arrière se situerait au Mali, un pays qui demeure résolument modéré et où la plupart des habitants rejettent l'extrémisme, qu'ils jugent étranger et trop violent. Le pays fait aussi figure de test depuis que le gouvernement a accepte des dizaines de millions de dollars d'aide américaine pour parer à une menace croissante de radicalisation dans les régions d'Afrique à majorité musulmane.

"L'extrémisme ne prend pas très bien auprès de la population locale", déclare un membre du ministère des Affaires étrangères américain. "Mais le problème a pris de l'ampleur au cours des trois dernières années, en particulier en 2009 ... Il faut se pencher là-dessus." Pour l'heure, le désert qui s'étend entre l'Afrique arabe et l'Afrique noire a moins servi de porte à l'expansion vers le sud de l'islam radical que de rempart contre celle-ci. Certains analystes considèrent qu'on exagère le danger. Le Mali est un pays laïc où l'on sert de l'alcool, où le jeu est répandu. Les portraits du président Obama y sont omniprésents et le sentiment antiaméricain peu fréquent. Les femmes voilées sont rares. "Nous ne voulons pas d'une république islamique", affirme Mahmoud Dicko, président du Haut Conseil islamique, une fédération d'organisations religieuses implantée à Bamako. "Nous ne voulons pas la charia, ni couper les mains des gens."

L’ORGANISATION SE FINANCE EN ENLEVANT DES OCCIDENTAUX

L’islam majoritaire au Mali est issu du soufisme, qui est assez conservateur sur le plan social mais plutôt tolérant. Mais selon plusieurs diplomates occidentaux, les imams étrangers voient leurs rangs se gonfler, et le gouvernement malien n'a pas vraiment d’emprise sur ce qu’on prêche dans les mosquées. Par ailleurs, l’armée est faible et ne peut pas grand-chose contre les islamistes qui franchissent aisément les frontières invisibles du désert. Les fréquentes sessions d’entraînement dirigées par l’armée américaine pour renforcer l’armée malienne ne sont pas «très efficaces», confie un diplomate en poste à Bamako.

AQMI, qui est née d'un mouvement nationaliste algérien, a tissé des ramifications dans la région sous la pression de l'armée algérienne. Elle s'est autoproclamée branche d'Al-Qaïda en 2007. Mais, d'après les analystes et les diplomates occidentaux, les liens qu'elle entretient avec le mouvement sont essentiellement rhétoriques. Elle n'a pas vraiment la capacité de frapper hors de la région, ni de déstabiliser les gouvernements locaux, même si un coup d'Etat en Mauritanie, en août 2008, et une élection truquée au Niger [après dix ans de pouvoir, le président Mamadou Tandja a obtenu une prolongation controversée de son mandat à l'issue d'un référendum constitutionnel, le 4 août 2009] ont accentué l'instabilité de la région.

L'organisation se finance essentiellement en enlevant des Occidentaux pour obtenir des rançons. Certains analystes la considèrent donc plus comme une bande de malfaiteurs que comme un bataillon de djihadistes. L'organisation est toutefois devenue récemment plus audacieuse et plus idéologique. Le touriste britannique enlevé a été exécuté en mai, parce que l'organisation n'avait pu obtenir la libération d'un religieux jordanien emprisonné en Grande-Bretagne. Apres avoir longtemps évité les villes maliennes -dans le cadre, selon les autorités occidentales, d'un accord tacite de non-agression passé avec le gouvernement malien-, AQMI a assassiné un officier à Tombouctou et tué plus d'une vingtaine de soldats et de paramilitaires envoyés pour venger sa mort. Fin novembre, l'organisation a aussi enlevé un Français à Ménaka, dans le nord du pays [le 10 janvier, elle a menacé de tuer Pierre Camatte si quatre de ses prisonniers n'étaient pas libérés avant la fin du mois]. Selon les autorités américaines, AQMI enrôle de plus en plus de ses combattants en Mauritanie, un pays à majorité arabe et plus répressif. Mais rien ne prouve qu'elle recrute plus activement au Mali ou chez ses plus proches voisins.

AU MALI, IL Y A UNE GRANDE DIVERSITE D'ISLAMS Tombouctou, une petite ville où les pasteurs nomades se mêlent aux commerçants et aux Touaregs, est un ancien centre de théologie musulmane. Parler de "guerre religieuse" ici vous vaut des regards perplexes. Certains responsables craignent cependant que la pauvreté et la modernisation ne finissent par constituer un cocktail imprévisible, et que l'argent des extrémistes, sinon leur idéologie, puisse avoir une influence. "Les jeunes n'ont plus envie d'élever du bétail", confie Assarid Ag Imbarcaoune, vice-président de l'Assemblée nationale du Mali, qui est originaire du désert du Nord. "Ils veulent de belles maisons, l'air conditionné et de grosses voitures !" "Il suffit de se promener n'importe où au Mali pour voir qu'il y a une grande diversité d'islams", explique Mike McGovern, professeur assistant à l'université de Yale et ancien directeur du bureau Afrique de l'Ouest de l'International Crisis Group. "C'est quelque chose qui est en évolution constante. On ne peut pas dire que l'islam d'Afrique de l'Ouest soit comme ceci ou comme cela. Ce n'est pas vrai !"

A Bamako, cette diversité de l'islam est manifeste. Cette ville brulée par le soleil grouille d'activité et, avec sa population essentiellement noire, elle semble à des années-lumière du désert du Nord. La densité même de sa population risque toutefois, selon les experts, de rendre sa jeunesse plus vulnérable au radicalisme, comme cela s'est produit en Mauritanie. Ici, tout le monde se croise. On peut voir des hommes allant prier à la mosquée passer devant des marchands qui vendent des crânes et des griffes d'animaux, articles censés posséder des propriétés médicinales ou surnaturelles et que les chefs musulmans considèrent comme anti-islamiques. Il y a aussi toutes ces motos chinoises qui encombrent les rues et qui sont conduites par des femmes aux tenues variées, allant du petit débardeur à la robe traditionnelle aux couleurs vives. "J' ai du respect pour ma religion, mais j'agis comme je veux", explique Fily N'Faly Bagayoko, 17 ans, motarde, qui ne porte pas le voile. Cet été, les chefs musulmans ont pourtant réuni 50.000 personnes pour manifester contre un projet de réforme du Code de la famille qui aurait, entre autres, supprimé l'obligation pour la femme d'obéir à son mari. Cette démonstration de force, qui souligne le conservatisme de l'islam malien, a secoué les militants pour la démocratie.
Dans une madrasa, une école coranique, située de l'autre côté de la ville, les adolescentes et les enseignantes portent la burqa, une tenue rare à Bamako. Mohammed Touré, 39 ans, imam de l'école, accuse la pression occidentale de pousser le gouvernement malien à tenter d'étouffer l'islam. Il ajoute cependant ne pas souhaiter que le Mali devienne comme l'Arabie Saoudite, pays où il a fait ses études et qui finance son établissement. "Les gens peuvent respirer ici, souligne-t-il. En Arabie Saoudite, les gens en fait sont en prison." Mahmadou Haidara, un autre imam, est du même avis. Il secoue la tête à l'idée que l'islam radical puisse prendre pied ici. "La vraie religion ne dira jamais à quelqu'un de brûler quoi que ce soit ou de tuer les autres, assure-t-il. Nous condamnons les extrémistes. Et nous les craignons."
Karin Brulliard

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