lundi 21 décembre 2009

L’héritage culturel targui protégé par les femmes


Fayçal Métaoui
El Watan 21-12-09

L’héritage artistique targui a, et pendant longtemps, été entretenu par les femmes. Aucun homme n’ose encore toucher l’Imzad, l’instrument symbole de l’art tamachaq.

Depuis samedi 19 décembre, le débat est ouvert à Tamanrasset sur ces richesses culturelles, certaines encore méconnues, à la faveur de la tenue du deuxième Festival culturel national de la chanson et de la musique amazighes. « La femme est le principal acteur de la sauvegarde du patrimoine immatériel des targuis. Elle est au cœur de la transmission de l’héritage culturel aux générations », a souligné Abdnabi Zendri, enseignant de sociologie à l’université de Tamanrasset. Il a relevé le caractère matriarcal de la société Imuha ou targuie et a prévenu contre les changements d’attitude par rapport au passé. « En dehors des centres urbains, la femme a gardé toute sa stature et sa position. Elle est à l’origine de toutes les activités artistiques et festives. Elle continue d’être maîtresse chez elle », a-t-il précisé. Les murs des villes ont, selon lui, créé des sentiments de peur et de repli. Et cela a abouti aux changements de certaines habitudes. « Mêmes des valeurs sociales ont été effacées par ces remparts. L’existence de l’autre, du voisin suscitent aujourd’hui des appréhensions qui n’existaient pas auparavant. Dans les kheïmas targuies, c’était ouvert. On ne craignait pas le passant, l’inconnu », a expliqué le sociologue. D’après lui, il est plus difficile de demander à une femme targuie qui vit dans la capitale de l’Ahaggar de venir déclamer de la poésie populaire dans un espace ouvert. « Son époux refusera cette exposition publique », a-t-il noté. Il a fait une analyse anthropologique de certaines traditions poétiques comme celles de Aliouène, Itiliouène et Tindi. Des poèmes chantés, parfois par les femmes, pour célébrer la virilité et le courage des cavaliers et parfois pour mettre en valeur les noces. « L’Imzad a toujours été conçu par les femmes. D’ailleurs, depuis les anciens temps, les femmes ont toujours fabriqué les instruments de musique, c’est leur spécialité », a-t-il expliqué. Le jeu de l’Imzad est, selon lui, un cérémonial sur la stature sociale, sur la guerre et la paix, sur la fête et les funérailles.

Abdnabi Zendri a relevé que l’Imzad est toujours « encadré » par une présence masculine dans la déclamation de la poésie. « Mais, attention, cette lecture poétique n’est pas l’apanage de n’importe qui. La femme veille à ce que les textes dits ne soient pas déviés et qu’ils restent fidèles à la thématique originelle », a relevé le sociologue. Se basant sur une légende assez connue dans le Tassili N’Ajjer, il a rapporté qu’une dame a sauvé Djanet d’une tempête de sable particulièrement ravageuse. « La population a oublié de célébrer la Sbiba. La nature s’est alors déchaînée. Après l’appel de la dame à la fête, le vent s’est arrêté », a-t-il dit. Au cours des débats, certains intervenants sont revenus sur la question de la langue tamazight et sa variante tamachaq. « Je fais des conférences et j’écris des textes en tamachaq. Certains disent que c’est une langue des pierres. Ce n’est pas vrai, c’est une langue qui vit », a estimé un chercheur. Abdnabi Zendri a précisé qu’il veille toujours à citer des dictons populaires touareg à ses étudiants pour les maintenir en lien avec leur langue. La poétesse et actrice Hajira Oubachir a regretté l’absence dans l’affiche officielle du festival d’écriture en tifinagh. Salah Bousalim, enseignant d’histoire à l’université de Ghardaïa, est revenu sur l’héritage culturel populaire qui « ne doit pas être réduit à une fonction folklorique ». Le festival s’est ouvert samedi après-midi avec des jeux d’imzad et de tazamart exécutés par Fatma Amrioudh et Ahmed Ahmed. L’association Issekta a présenté un petit spectacle de tindi. Un hommage a été rendu à plusieurs artistes dont Badi Lalla, joueuse de tindi de Tam, Djamel-Eddine Debbache de Ghardaïa, Chérif Kheddam de Tizi Ouzou ainsi que les regrettés Katchou et Athmane Bali. Plusieurs groupes et chanteurs venus des quatre coins du pays vont concourir dans la chanson chaoui, targuie, mozabite et kabyle. Il s’agit, entre autres, de Kounouz de Khenchela, El Warith Salah de Ghardaïa, Idabir Baba de Tamanrasset, Lenssari Moussa de Adrar, Abdou Ben Omar d’Illizi, Numédia de Béjaïa, Taghma de Boumerdès et Tyor El Alia de Oum El Bouaghi. Kouider Bouziane est le président du jury qui devra, à la fin de la compétition, accorder trois grands prix pour la musique, la chanson et les deux.ensemble.

Par Fayçal Métaoui

Tamanrasset. De notre envoyé spécial

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