jeudi 10 décembre 2009

Les Touaregs, premiers réfugiés environnementaux Enquête - Sébastien Paour (5'05")


Les Touaregs, premiers réfugiés environnementaux
France Info - 7 décembre 2009
La Conférence de Copenhague sur le climat ouvre aujourd’hui. Chefs d’Etat et de gouvernement et experts tenteront de se mettre d’accord sur les mesures à prendre pour préserver ce qui peut encore l’être...
Bien loin de Copenhague, les Touaregs du nord du Mali subissent déjà les effets du réchauffement climatique : ils sont des réfugiés environnementaux...
Ces touareg, ils se déplacent depuis toujours avec leurs troupeaux de vaches, de chèvres, de moutons, de dromadaires (qu’ils appellent "chameaux") dans le Sahara et, juste en-dessous, dans le Sahel.
Dans leurs tenues amples, le visage caché sous leurs longs turbans, ils cherchent des pâturages et de l’eau pour leurs bêtes.

Ils ne savent pas ce que c’est qu’un "réfugié climatique" ou un "déplacé de l’environnement" comme préfèrent les appeler certains spécialistes du climat, ils ne parlent pas le français mais le tamasheq... Mais ils voient très bien comment le paysage se transforme depuis plusieurs années.
Mohamed, de la tribu Kellessouk, nous a accompagné en 4x4 à quelques kilomètres de son campement, au nord de Gao, dans le nord-est du pays, à N’Tahaka. Il y a beaucoup de vent, comme dans le Sahara, il y a un puits, pas loin, le seul à 60 kms à la ronde, le paysage n’est pas complètement désertique, mais ce n’est rien à côté de ce que c’était avant.


N'Tahaka, au nord de Gao. Mohamed, touareg de la tribu Kellesouk, explique qu'ici, il y a 30 ans, il y avait des bois et des prédateurs
©Radio France/ Sébastien Paour
Debout seul dans le vent, Mohamed explique qu’ici, "il y a quelques arbustes, quelques pierres, et du sable... Mais avant, à 100 m on ne pouvait plus voir quelqu’un ! A cause des arbres ! La végétation était très très dense. Maintenant, c’est pratiquement le désert... Il y a encore quelques espèces qui résistent, mais la plupart ont disparu...
Avant, il y avait tellement d’arbres que personnes ne se hasardait à se promener tout seul, à cause des prédateurs. Il y avait des lions, des hyènes, des panthères... Nous on chassait les antilopes et les gazelles. Mais ça c’était dans les années 70".

Les Touaregs ont bien été obligés de s’adapter à ce changement radical de végétation : depuis le début des années 90, comme la saison des pluies de 3 ou 4 mois ne suffit plus à faire pousser les pâturages pour nourrir leurs bêtes, Mohamed et ses semblables ne sont plus des nomades à 100%. Ils reçoivent d’ailleurs dans une construction en dur, à N’Tahaka.

Wan Ag Alwaly assure le suivi des programmes de l’ONG malienne "Tassagh", ça veut dire "le lien" en tamasheq... Tassagh s’occupe notamment d’aider les Touaregs les plus pauvres.
Et Wan explique : "Au début des années 90, c’était le désert, ici ; il n’y avait pas une seule construction. Les gens n’étaient pas encore fixés, ils tournaient avec les animaux selon les saisons. Il y avait assez d’eau et de pâturages pour alimenter les bêtes et les hommes. Quand ces ressources se raréfiaient, on partait à d’autres endroits. Et ainsi de suite jusqu’à la prochaine pluie. Aujourd’hui, il n’y a plus les tentes qu’on démontait et qu’on remontait : c’est un vrai village "en dur", ici.
Parce que la dépendance fait que les Touaregs ne peuvent plus se contenter de leurs animaux. Ce n’est plus suffisant, ça ne nourrit plus les hommes et ils dépendent d’autres choses. Et pour cela, ils doivent se fixer."

Cette modification de l’environnement a donc complètement remis en cause le mode de vie nomade des Touaregs. Ils se sédentarisent une partie de l’année autour des villes.
Abdulaziz Ag Aloli coordonne les programmes de l’ONG "Tassagh" : "Ce nomadisme a été beaucoup influencé par la dégradation de l’environnement. Parce que l’élevage ne suffit plus, à lui seul, à nourrir son homme. Si bien qu’il y a une tendance à la diversification des activités.
Et pour les diversifier, il faut de plus en plus devenir sédentaire. Donc on assiste à un phénomène de semi-fixation pour entreprendre d’autres activités, notamment le petit commerce. Beaucoup se rabattent, ceux qui ont tout perdu, sur les grandes villes. Pour être manoeuvres, dockers, pour les femmes cuisinières...
Toute la société nomade est bouleversée, en fait. On a coutume de croire que les réfugiés sont seulement ceux qui fuient la guerre. Mais la guerre c’est un malheur, et cette situation en est un autre. C’est une autre forme de réfugiés à laquelle on va assister davantage parce que plus la situation perdure, plus on va en avoir. C’est évident."

Les nomades sont moins nombreux et donc de moins en moins nomades.

Leurs troupeaux ne comptent plus plusieurs centaines - voire milliers ! - de bêtes comme naguère, mais seulement plusieurs dizaines. Ils sont obligés de descendre chaque année un peu plus du nord vers le sud.
Ceux qui sont encore éleveurs une partie de l’année ont du mal à nourrir leurs animaux, il y a moins de plantes, et d’autres plus résistantes et toxiques, comme la torcha, sont apparues.

A force de fréquenter les villes, les Touaregs sont aussi touchés maintenant par des maladies qu’ils ne connaissaient pas, il y a encore quelques années.
Bref, il y a beaucoup de regrets et de nostalgie dans les propos de ces hommes : "C’est un peu comme si on vous demandait, à vous, de parler tamasheq comme ça ! Ce serait très dur ! Pour nous, devenir sédentaire, c’est un défi, une contrainte : on n’a pas choisi ce mode de vie, où on n’est ni sédentaires, ni nomades...
Et c’est une douleur : on regrette de ne plus pouvoir être des nomades, comme on a toujours été. Mais en même temps, on se rend bien compte que la sécheresse est pire chaque année..."

Mohamed, Aziz et les autres Touaregs sont tous d’accord pour dire que le nomadisme c’était la liberté. Et que celle-ci se réduit.
Ils ne savent pas s’ils sont des "réfugiés climatiques" ou des "déplacés de l’environnement", mais ils disent que la ville de Kidal, à 350 kms au nord de Gao, est aujourd’hui en plein Sahara. Il y a 30 ans, c’était comme à Gao aujourd’hui : le désert progressait mais on pouvait encore nourrir les bêtes...

Reportage et photos : Sébastien Paour

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