jeudi 10 décembre 2009

Al-Qaeda et les zones d’ombre du Sahel



Les enlèvements d’Occidentaux au Mali et en Mauritanie, revendiqués hier par l’organisation islamiste, illustrent l’instabilité de la région.

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Par CÉLIAN MACE

Que cache encore le Sahara ? L’immense désert est de longue date habitué aux rebelles touaregs - en lutte contre le gouvernement malien - et aux trafiquants d’armes, d’essence, de cigarettes et d’émigrés clandestins. Mais cette zone de non-droit abrite aussi des bases d’Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi), qui a revendiqué, hier, l’enlèvement de quatre Occidentaux au Mali et en Mauritanie.

Le 25 novembre, trois hommes armés kidnappent le Français Pierre Camatte à Ménaka, dans l’est du Mali. Le travailleur humanitaire, âgé de 61 ans, président d’une association de lutte contre le paludisme, est depuis détenu par «l’aile dure» d’Aqmi. Une source proche de la rébellion touarègue affirme que «le groupe d’Abou Zeïd, le commanditaire de l’enlèvement, se trouvait dans la zone de Ménaka entre le 23 et le 25 novembre». Abdelhamid Abou Zeïd est l’un des deux «émirs» de la branche sahélienne d’Aqmi. Réputé très violent, l’Algérien est à l’origine de l’exécution du touriste britannique Edwin Dyer en mai. Jusque-là, l’organisation avait toujours négocié, contre rançon, la libération de ses otages.

Deux jours plus tard, un convoi de 13 véhicules humanitaires est attaqué dans le nord de la Mauritanie. Deux hommes d’affaires espagnols d’une cinquantaine d’années, Albert Vilalta et Roque Pascual, et une fonctionnaire de la justice, Alicia Gámez, membres de l’association Acción Solidaria, sont alors enlevés. Dans un enregistrement audio diffusé hier par la chaîne qatarie Al-Jezira, Aqmi a revendiqué les deux rapts et précisé que «la France et l’Espagne seront informées ultérieurement des revendications légitimes des moudjahidin».

«Cocaïne». Basé et fondé en Algérie, ce mouvement islamiste, ex-Groupement salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), a officiellement rejoint Al-Qaeda et prêté allégeance à Ben Laden en 2006. Un an plus tard, il signait les sanglants attentats-suicides d’Alger (40 morts dont 17 employés de l’ONU) et l’assassinat de quatre touristes français en Mauritanie - faisant annuler le Paris-Dakar. L’impact d’Al-Qaeda dans la région est grandissant, mais l’organisation peine pourtant à recruter hors d’Algérie, selon un rapport de la fondation américaine Carnegie : «Aqmi n’a jamais réussi à appliquer la grande stratégie centrée sur le jihad anti-américain en Irak. Il espérait mobiliser les réseaux de solidarités en Europe et au Maghreb, entraîner les volontaires en Algérie et les envoyer en Irak, écrit Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences-Po et spécialiste des mouvements islamistes. Mais l’effondrement d’Al-Qaeda en Irak a eu un impact dévastateur sur cette stratégie triangulaire. […] A la place, Aqmi a commencé à frapper des cibles internationales dans son propre environnement.»

La bande sahélo-saharienne, qui traverse la Mauritanie, le Maroc, le Mali, l’Algérie, la Libye, le Niger et le Tchad, a toujours été difficile à contrôler pour les autorités. Le manque de routes, la faible densité de population et l’absence visible de frontières dans le désert en font un refuge idéal pour les groupes armés, mais aussi pour les trafiquants. L’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) a ainsi révélé la découverte, il y a un mois, de l’épave calcinée d’un Boeing 727 dans le nord du Mali, qui a «déchargé de la cocaïne et d’autres produits illicites» sur une piste artisanale en terre. Une première pour le Mali et pour la quantité de drogue transportée - jusqu’à 10 tonnes selon l’ONUDC.

Pendant trois semaines, les autorités nationales ont gardé un silence absolu sur le sujet, malgré les demandes d’explications répétées de la presse et de l’opposition. Le chef de l’Etat, Amadou Toumani Touré, est sorti de son mutisme le 26 novembre, en déclarant, en pleine nuit à la télévision, qu’il ne voulait pas «gêner l’enquête internationale en cours», menée par les services de renseignements maliens, des experts européens, américains et libyens. Selon le Président, «les références de l’avion» permettent de dire qu’il était «immatriculé en Amérique du Sud». Sur place, un responsable touareg affirme qu’au moins «deux autres voyages similaires ont déjà eu lieu», organisés par «des barons de la drogue qui sont des personnalités influentes de la région». L’appareil a été abandonné et incendié par les trafiquants, qui ont ensuite disparu en 4 x 4 avec leur cargaison destinée à l’Europe.

Bastion Jihadiste. Le porte-parole de l’armée reconnaît que «la zone n’est pas couverte par une surveillance satellitaire. Et le Mali seul n’a absolument pas les moyens de contrôler ce territoire». Al-Qaeda le sait et a choisi de frapper dans ces Etats démunis, avant de se replier dans un pays frontalier. Cet été, l’armée malienne a lancé une première offensive contre un bastion jihadiste, à la frontière algérienne, tuant une vingtaine de combattants. Les Etats-Unis, qui surveillent discrètement mais attentivement la zone, ne peuvent se permettre d’intervenir militairement. «Si un soutien international pour aider les pays visés par Al-Qaeda dans la région est indispensable, toute implication directe des Occidentaux serait hautement improductive», rappelle Jean-Pierre Filiu. Car la rhétorique jihadiste trouverait alors un écho dans le Sahel, pour l’instant indifférent à l’appel à une lutte islamiste internationale.

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