lundi 2 novembre 2009

La 6ème République de Tandja : faut-il conclure à un subtil retour de l’armée sur la scène politique nigérienne





Depuis 1990-1991, le constitutionnalisme a fait « irruption » dans les débats politiques africains, « Le souvenir des turpitudes des trois décennies d’exercice autoritaire du pouvoir a conduit…les forces du changement, à prêter une attention plus soutenue à l’élaboration des nouvelles règles constitutionnelles. Un peu partout sur le Continent, et quel que soit le mode de transition utilisé, l’objectif était le même : créer les conditions d’une suprématie de la Constitution, garante d’un nouvel équilibre des pouvoirs et de l’instauration de l’Etat de droit »[1]. Depuis les élections véritablement démocratiques de 1993, consécutives à la transition démocratique organisées par la Conférence Nationale Souveraine de 1991, le processus de démocratisation nigérien a connu des parenthèses, du fait des incessantes « irruptions » de l’armée sur la scène politique. La problématique de la consolidation du processus démocratique, révéla l’insuffisance des Constitutions successives, à faire face aux difficultés soulevées par le dur apprentissage de la démocratie. A partir 1999, Le Niger se retrouve sous l’égide la 5ème République, en si peu d’histoire en matière de démocratisation ! C’est aussi cette 5ème République, qui détient le record de longévité depuis l’amorce de la démocratisation. Cette longévité semblait s’expliquer par la révolution qu’elle consacre, elle est en effet la seule Constitution qui prévoit pour la première fois une Cour Constitutionnelle au Niger. Cette défunte Cour constitutionnelle, a fortement contribué à dépassionner le climat politique nigérien, en tant qu’arbitre institutionnel du fonctionnement régulier de l’Etat. Elle laisse une jurisprudence audacieuse, qui certainement fera école. Les Constitutions successives, ont-elles été victimes du vide juridique matérialisé par l’absence d’une Cour Constitutionnelle indépendante de tout pouvoir ? Avec les récents évènements, la réponse n’est pas aisée. Nous avons cru à tort, que la noble institution pourrait survivre de ce deuxième bras de fer qui l’a opposé à l’exécutif. Le premier heurt avec l’exécutif, remonte en effet en septembre 2002, avec la première tentative d’utilisation frauduleuse par le Président Tandja de l’article 53 relatif aux pouvoirs exceptionnels du Chef de l’Etat. Si, à l’époque le Président Tandja obtempéra aux arrêts de la Cour, cette fois-ci, le choc a été fatal pour la Haute juridiction. Ainsi, après une brillante leçon de démocratie infligée à la face du monde, le Niger vient d’être rattrapé par son sombre passé : la tradition du régime militaire.

Il apparaît que désormais, la tranquillité de poursuite du processus de démocratisation passe par une démilitarisation de la chose politique au Niger. La stabilité véritablement démocratique ne peut s’obtenir au Niger, si les Constitutions nigériennes résultent d’un marchandage, voire d’une « compromission » entre le politique et l’institution militaire. L’une des tares de la très démocratique 5ème République, est sans conteste l’empreinte laissée par la transition militaire de Wanké, en l’espèce l’amnistie constitutionnelle qui a survécu au référendum controversé. Ce qui de facto, signifie que le destin constitutionnel nigérien reste sous influence de l’Armée. La démocratisation au Niger est aujourd’hui face à un épineux problème, celui de la problématique du confinement de l’armée dans sa mission traditionnelle de défense de la patrie (en cas d’agression intérieur ou extérieur), l’objectif étant de tenir l’institution militaire hors du champ politique. A la base des instabilités constitutionnelles post-Conférence Nationale, se trouve le refus de l’armée de rester dans les casernes (I). La naissance de la 6ème République, confirme si besoin est, que la première force politique au Niger n’est pas un parti politique mais la grande muette (II).


I.- La démocratisation victime des incessantes « irruptions » de l’armée sur la scène politique : 1991-1999
Avec les assises de la Conférence Nationale souveraine de 1991, le Niger pensait avoir tourné le dos à son passé marqué par la dictature militaire. Si l’époque et les circonstances (chute du mûr de berlin, balkanisation de l’ex URSS, activisme des organisations civile et politique naissantes etc.), militaient en faveur de l’avènement de la démocratisation, l’armée nigérienne qui jusqu’à là s’est toujours arrogé le rôle politique, ne semblait pas être préparée à cette brusque mutation. L’humiliation écopée par l’armée lors des assises de la Conférence Nationale, témoigne non seulement de son impopularité, mais amplifie aussi le grand fossé qui existait déjà entre elle et le peuple. Contrairement au Bénin, qui a réussi « une transition à la démocratie pluraliste négociée avec les tenants de la dictature »[2], le consensus a fait défaut au Niger, et cela se ressentira lors de la poursuite du processus de démocratisation. En effet, l’armée ne se généra pas tantôt pour perturber la démocratisation engagée (mutinerie), tantôt pour la court-circuité purement et simplement (coup d’Etat).

L’armée nigérienne n’était pas du tout préparée à l’avènement de la démocratisation. C’est pourquoi, Le bras de fer entre civils et militaire commencé à la Conférence Nationale se poursuivra tout le long des étapes du processus de démocratisation. La brutalité d’émergence du processus de démocratisation, n’était pas de nature à conscientiser l’institution militaire sur la nécessité de s’écarter de l’espace politique, devenu propriété légitime des forces politiques nouvelles. L’armée va très tôt afficher son refus de la démocratisation, par le rejet hautement symbolique d’une décision de la Conférence Nationale concernant l’affaire dite de Tchintabaraden (où plusieurs rebelles touaregs ont été tués par l’armée), trois mois seulement après l’amorce de la transition démocratique. En effet, la libération forcée de leur camarade, le capitaine Maliki impliqué dans l’affaire suscitée au moyen d’une mutinerie[3], est le signe patent de leur non adhésion au processus de démocratisation. Durant quatre jours (le 25, 26, 27 et 28 février 1992), les soldats insurgés ont semé un désordre de déstabilisation politique, au mépris des règles contenues dans la Constitution transitoire (Acte Fondamental 21). Le retour des soldats dans les casernes s’obtiendra au moyen d’une négociation, qui a bénéficié du concours des forces démocratiques (syndicats et partis politiques). Mais, cet accord trouvé avait pour base un préalable contraire au droit : la levée de toute poursuite contre le capitaine Maliki. Cette impunité résultante d’un rapport de force (militaires-autorités transitoires), témoigne de l’effacement du juridique au profit du politique dans une société pourtant désireuse de bâtir un Etat de droit. Pour sa survie, le processus de démocratisation en cours devra désormais s’accommoder de la culture de l’impunité établie au bénéfice de l’armée. Le remaniement inattendu du gouvernement transitoire, dirigé par le Premier Ministre Cheiffou Amadou le 27 mars 1992, est l’autre conséquence politique de la révolte des soldats. Entre le 27 août et la fin de septembre 1992, les militaires affichaient un désaveu total aux autorités de la transition, en imposant leur diktat dans le traitement du dossier relatif à la rébellion touarègue. C’est ainsi, que les autorités de la transition assistèrent de manière impuissante à l’arrestation massive et arbitraire, des personnes en majorité touarègues, soupçonnées de complicité avec la rébellion touarègue. Ce procédé des militaires est d’autant plus choquant, qu’il viole de manière flagrante les valeurs prônées par la transition démocratique, faisant voler en éclat les espoirs de tout un peuple, qui aspire au changement. Les protestations populaires, nées de la troisième mutinerie intervenue sous la 3ème République, confortent d’ailleurs la rupture existante entre le peuple et l’armée. Ce qui n’empêche pas la « rébellion des soldats » de continuer à jalonner le processus de démocratisation engagée.

Sans vouloir déprécier les revendications économiques (difficiles conditions de vie et de travail) souvent exhibées par les soldats révoltés, il faut admettre que le véritable mobile est ailleurs, dès lors que ces doléances pouvaient trouver une issue par simples pourparlers. A l’aube de la 5ème République (en septembre 1999 sous Wanké), le Niger enregistrait la cinquième mutinerie ! Même la transition militaire de Wanké n’échappera pas à ce phénomène (la quatrième mutinerie). Phénomène d’apparition post-Conférence Nationale, la mutinerie est la conséquence du brutal écartement (sans inventaire) de l’arène politique, des dépositaires civils et militaires des régimes d’exception (de KOUNTCHE et de Ali CHAIBOU). Les mutineries, peuvent être interprétées comme l’expression affichée du refus de la démocratisation, qui tire son fondement dans le dangereux flirt entre le politique et l’armée. Les revendications corporatistes des soldats, sont en substance impulsées par des officiers militaires qui entretiennent des liens étroits avec des hommes politiques. Dans le contexte nigérien, le pacte entre civils et militaires se base sur des considérations diverses (ethniques, régionales, familiales, amicales etc.). La politique au Niger, c’est avant tout l’histoire d’une instrumentalisation réciproque entre l’armée et l’élite politique. En d’autres termes, derrière les soldats insurgés se cachent toujours les hommes politiques, par conséquent la mutinerie, est toujours une manœuvre de déstabilisation politique. La sixième mutinerie intervenue sous la 5ème République n’échappe pas à la règle, mais sera analysée un peu plus loin, sous un autre angle vu les circonstances et le cadre de sa survenance.

Le processus de démocratisation au Niger n’a pas seulement connu que des perturbations (mutineries), il a aussi été à deux reprises victimes de putsch ou retour de l’armée sur la scène politique en 1996 et 1999. La Constitution de la 3ème République adoptée par référendum en 1992 sous la transition démocratique, qui constitue en réalité la première Constitution véritablement démocratique au Niger, va connaître un sombre destin. Cette Constitution perçue comme un remède contre le « monocéphalisme » de l’exécutif, consacre un régime semi-présidentiel, qui en février 1995 va plonger le Niger dans une cohabitation politique difficile. L’immaturité politique des autorités représentatives n’était pas de nature à gérer cette cohabitation politique, qui de ce fait va se transformer en une crise politique de grande envergure. L’armée nigérienne qui n’a jamais digéré d’être privée de son rôle politique (souvent entériné par les Constitutions de pure forme), saisie l’occasion pour revenir au pouvoir, par le coup d’Etat militaire de Ibrahim Baré Maïnassara du 27 janvier 1996. Le Colonel Baré ne manque pas de justification à son putsch, il invoque entre autres[4], « la crise irraisonnée et personnalisée » de deux chefs de l’exécutif et le « péril majeur » qui a poussé l’armée à prendre ses « responsabilités ». Ces responsabilités n’étant prévues par aucun texte, c’est l’armée seule qui juge de l’opportunité de revenir sur la scène politique, ce qui soulève la problématique de la pérennité du processus de démocratisation, qui vient du subir un grand recul avec la fin d’un régime voulu par la Conférence Nationale. Mais, Le Colonel Baré, qui a pris le pouvoir dans le but d’éviter au Niger une guerre civile ‘‘annoncée’’ par une cohabitation dangereuse, va se succéder à lui-même (4ème République) dans une atmosphère politique indigeste (irrégularités électorales, contexte économique difficile, embrasement du front social, crise interne au régime etc.). La politique n’échappe pas aussi à la règle qui stipule que ‘‘les mêmes causes produisent les même effets’’. Ainsi, le Colonel Baré (devenu entre temps Général) reproduit exactement le schéma de blocage institutionnel qui prévalait au moment de la cohabitation, à la différence près qu’il va se dénouer dramatiquement. Car, le 9 avril 1999 le Général Baré est tué par les éléments de sa propre garde présidentielle, à la tête de laquelle se trouve le Chef d’escadron le Commandant Daouda Mallam Wanké. Cette tragédie politique trouva une qualification par la voix du Premier ministre Hassane Mayaki qui l’a présenté comme un « accident malheureux » ! L’armée enterre donc pour la deuxième fois une Constitution post –Conférence Nationale, en vertu du rôle politique qu’elle s’est illégalement assignée. Avec l’arrivée au pouvoir du Commandant Wanké, c’est une autre transition militaire, la deuxième de ce genre qui s’instaure au Niger. La défunte 5ème République résulte de cette transition militaire. Le dénominateur commun entre la 4ème et la 5ème République, c’est qu’elles sont toutes deux issues des transitions militaires. Il y a eu donc depuis la Conférence Nationale une alternance des transitions, dont une démocratique et deux militaires. Mais, ces deux transitions militaires se distinguent sur un point fondamental. Dans la première transition militaire, l’armée a succédé à elle-même, tandis que dans la seconde transition militaire, les militaires ont assuré le retour à une vie constitutionnelle normale « sous contrôle ». En effet, l’intervention politique de l’armée va prendre une forme beaucoup plus pernicieuse pour la démocratisation en cours, de par sa subtilité (II).

II.- La démocratisation « otage » de l’institution militaire : 1999 – 2009La reprise du processus démocratique, va s’opérer cette fois-ci sur la base d’une « compromission » préjudiciable à la paix sociale. La Constitution adoptée sous le CRN (Conseil de Réconciliation Nationale) de Wanké le 18 juillet 1999 et promulguée par décret[5] le 9 août 1999, dispose à son article 141 qu’ «Une amnistie est accordée aux auteurs des coups d’Etat des 27 janvier 1996 et 9 avril 1999 ». A l’alinéa 2 du même article, on peut y lire : « Une loi sera votée à cet effet lors de la première session de l’Assemblée nationale ». Même si il est admis, que le moment constituant soit souvent un moment de violation des droits, les dispositions de cet article 141 pêchent tout de même par leur caractère flagrant. La pression exercée par les acteurs de la transition militaires sur les autorité de la 5ème République à peine installée, entraîna effectivement le vote de loi 2000.01 du 24 janvier 2000, dès la première session de l’Assemblée nationale. Cette amnistie, consacrée par l’article 41 de la Constitution de la 5ème République, se trouve en sus verrouillée par les dispositions de l’alinéa 2 de l’article 136 de la même Constitution qui dispose que « La forme républicaine de l’Etat, le multipartisme, le principe de la séparation de l’Etat et de la religion et les dispositions des articles 36 et 141 de la présente Constitution ne peuvent faire l’objet d’aucune révision ». Lors de l’élaboration des textes fondamentaux, l’insertion de cette amnistie dans le corpus de la loi fondamentale est presque passée sous silence, exceptée la timide protestation du parti de Baré, le RDP. Les forces politiques nigériennes, se sont volontairement abstenues de prendre position par rapport à cette amnistie pour deux raisons : la promesse d’un retour à une vie constitutionnelle normale faite par les militaires, et la crainte d’être exclu pour les échéances électorales à venir. Par ailleurs, la population nigérienne en majorité analphabète n’a pas véritablement été sensibilisée sur le contenu de cette Constitution lors du referendum constitutionnel. L’absence d’une véritable popularisation expliquant la portée des dispositions constitutionnelles à adopter, traduit la volonté de dissimuler la vérité au peuple. Ce qui explique l’adoption de la Constitution sans difficultés, malgré des dispositions contraires à la philosophie d’un Etat de droit.

Le silence de la classe politique face à un texte fondamental entaché par l’empreinte de l’armée, laisse supposé que l’amnistie ne profite pas qu’à l’armée. Il suffit simplement de se rappeler qu’à l’arrivée de Wanké au pouvoir, « L’enthousiasme des leaders du front pour la restauration et la défense de la démocratie a été tel qu’ils ont même été soupçonnés de complicité dans le coup d’Etat »[6]. Le coup d’Etat de Wanké a engendré trois autres victimes[7] en plus du Président Baré. En constitutionnalisant l’amnistie qui interdit toute poursuite aux auteurs et co-auteurs des coups d’Etat de 1996 et de 1999, les autorités de la transition militaire se sont d’office mises en situation de coupables idéales, mais protégées par la loi fondamentale ! Logiquement, une amnistie intervient après l’identification des coupables, ce qui suppose préalablement l’établissement de la vérité sur les faits incriminés. En imposant que soient amnistiés les assassinats intervenus lors du coup d’Etat de 1999, le CRN ne cache pas sa culpabilité, mais refuse par contre à ce que la lumière soit faite, en utilisant la Constitution comme bouclier. La Constitution nigérienne, consacre donc aussi bien le droit que l’impunité. Concrètement, la loi fondamentale de la 5ème République qui à son article 11 protège le droit à la vie, inclut aussi la protection des assassins aux articles 136 et 141. La 6ème République de Tandja reconduit la même logique pour des raisons évidentes (articles 11 et 159). Ce paradoxe explique que le titre du rapport d’Amnesty International du 8/09/1999 soit intitulé, « Niger : le sacre de l’impunité »[8].

Il découle de l’amnistie le principe d’interdiction de toute recherche sur le fait amnistié, ce qui fait obstacle à toute action en justice. Cette situation contrevient naturellement au droit fondamental à un recours effectif devant une juridiction impartiale, garantie par les textes internationaux de protection des droits de l’Homme. La plainte contre X pour assassinat déposée (avant le vote de la loi d’amnistie) par la famille Maïnassara Baré le 24 mai 1999, au tribunal régionale de Niamey a été classée sans suite le 7 septembre 1999 pour « inopportunité de la poursuite en raison de l’amnistie des droits et faits intervenus suite au décret n°99-320 du 9-08-1999 qui a promulgué la Constitution du 18 juillet 1999 ». Par le biais de la question préjudicielle, la famille Maïnassara Baré, tenta même un recours en inconstitutionnalité de la loi d’amnistie en 2002. La Cour Constitutionnelle saisie d’une requête en date du 24 janvier 2002, par le Président de la Cour d’Appel de Niamey a déclaré dans son arrêt[9] n° 2002-03/CC du 7 août 2002, la conformité de la loi d’amnistie à la Constitution, mettant fin définitivement à toute possibilité de poursuite concernant l’assassinat de Baré. En effet, aussi parfaite soit t-elle de par son organisation et ses attributions, l’audacieuse et regrettée Cour Constitutionnelle de la 5ème République (qui demeure un modèle unique en son genre), ne peut se prononcer sur « la conformité d’une disposition constitutionnelle par rapport à une autre disposition constitutionnelle ». Dans un pays à majorité musulman, où prédomine la culture du pardon dans le règlement des différends, était-il opportun d’instituer cette amnistie ?

A une époque où le devoir de mémoire est fondamental, l’amnistie accordée aux autorités de la transition militaire de Wanké, est la traduction du développement d’une forme virulente de culture d’impunité, qui attise le désir de vengeance. Nul doute, que les militaires avec la complicité de la classe politique, ont posé là un précédent dangereux préjudiciable à la paix sociale et à la bonne marche de la démocratisation. Désormais, les militaires peuvent toujours se permettre d’interrompre le processus de démocratisation, puisqu’ils peuvent utiliser le droit pour se protéger. Paradoxalement, la justification du refus de toute enquête indépendante sur l’assassinat de Baré par les autorités de la 5ème République, par leur serment coranique de respecter et faire respecter la Constitution, ne les a pourtant pas empêché l’organisation illégale du référendum accouchant la 6ème République. Inaugurée sous la 5ème République, la pratique de l’amnistie constitutionnelle est aujourd’hui entérinée par la 6ème République à l’article 159. La survivance de l’amnistie constitutionnelle au référendum inconstitutionnel du 4 août 2009 n’est pas un fait de hasard. Il suffit simplement de constater, que les présumés auteurs du coup d’Etat sanglant du 9 avril 1999, occupent toujours des responsabilité stratégiques au sein de l’armée. Les conflits et le développement du clanisme (affaire pelé[10]) qui gangrènent l’institution militaire, ne sont que la conséquence sa politisation à outrance. L’amnistie constitutionnelle imposée par les militaires, place de facto le constitutionnalisme nigérien sous surveillance d’une armée divisée (entre partisans et non partisans du système en place). Si la 5ème République, marque le début d’une prise d’otage par l’armée du processus de démocratisation, la 6ème République n’est que la consécration de cette prise d’otage. Les artifices fallacieux qui ont entraîné la fin de la 5ème République, prouvent que l’effectivité de cette prise d’otage, se fonde sur une coïncidence de l’histoire qui s’est avérée malheureuse : le Président de la République démocratiquement élu, est un militaire de carrière ! Partant de cette considération l’intérêt de certains militaires (particulièrement ceux qui sont actuellement aux commandes) qui a ses racines dans la loi fondamentale (amnistie), se trouve à jamais garanti par un frère d’arme (Président de la République). Dans le même sens, le Président Tandja peut tout se permettre, dès lors qu’il s’appuie sur une armée qui lui est fidèle. A une date encore récente, la situation de blocage qu’il a crée allait déboucher sur un inévitable Coup d’Etat – qu’elle fut la surprise de la population nigérienne- lorsque l’armée annonce ne pas interférer dans le champ politique, en vertu du « devoir de neutralité et de réserve » !

En fait, avec l’élection du Président Tandja en 1999, l’armée n’a pas eu besoin d’utiliser la force pour revenir au pouvoir. Mais, les réflexes de l’Etat d’exception vont faire très tôt faire leur apparition, dans de cette ère qui se veut démocratique. Le précédent qui devrait alerter sur l’orientation dictatoriale du régime Tandja, remonte avec le premier choc de l’illustre Cour Constitutionnelle de la 5ème République avec l’exécutif en septembre 2002. L’origine de cette crise date du fin juillet - début août 2002, où des soldats se révoltèrent dans certaines casernes militaires du Niger : N’gourti, N’guimi, Diffa et Niamey. Pour juguler ces mutineries[11], le Président de la République, n’a eu d’autres alternatives que la signature deux décrets[12], le premier proclamant la mise en garde dans la région de Diffa et le second régissant les mesures particulières dans le cadre de la mise en garde. Sur saisine des députés de l’opposition, la Cour déclara non conforme à la Constitution les deux décrets dans son arrêt n°2002-016/CC du 6 septembre 2002, en ce qu’ils violent les dispositions de l’article 53 de la Constitution relatif aux pouvoirs exceptionnels du Chef de l’Etat. La Cour précise que conformément à la procédure décrite à cet article, « le Président de la République avant de prendre « les mesures exceptionnelles », consulte le Premier Ministre, le Président de l’Assemblée Nationale, le Président de la Cour Constitutionnelle, le Président de la Cour Suprême[13] puis informe la Nation par un message ». Or constate la Cour, la délivrance du message à la Nation qui est « une exigence constitutionnelle » et non « une simple faculté » n’a pas eu lieu. Dans le fond, le raisonnement de la Cour est conforme à sa mission en ce qu’il vise à contrecarrer ce dérapage de l’exécutif qui est inadmissible dans un Etat de droit. Mais, l’arrêt en question n’a été signé que par quatre Conseillers[14] le cinquième Conseiller, en l’occurrence le feu Abdou Hassane était absent aux moment des faits pour cause de maladie. En rendant un arrêt sans quorum[15], la Cour s’est exposée aux assauts de l’éxécutif, qui dénonce la violation par la Cour de ses propres compétences. La pression politique subie par les Conseillers à cette occasion, entraîna la démission du Président et du Vice-président. Autrement dit, l’affaire a eu d’énormes répercussions politiques qui ont porté un coup dur à la solidarité des Conseillers. Néanmoins, ce choc a aussi eu des effets positifs, car Le Président de la République prit finalement un décret[16] le 23 septembre 2002, mettant fin à la mise en garde dans la région de Diffa. Poursuivant son bras de fer qui l’oppose à la haute juridiction, le Président de la République saisi la Cour le 22 décembre 2003, aux fins de contrôle des arrêts sans quorum, au rang desquels figure l’arrêt du 6 septembre 2002, la Cour recomposée déclare « l’inexistence juridique des dits arrêts » dans sa décision n° 2003-12/CC du 29 décembre 2003[17]. Il apparaît que dès ses premiers pas bien que quelque peu erronés, la Cour Constitutionnelle a dérangé le Président Tandja dans sa tentative hégémoniste. Elle a constitué un frein dans cette première mise en œuvre illégale des pouvoirs exceptionnels du Chef de l’Etat. Cette situation constitue déjà une alerte sur l’avenir de la démocratisation, avec un Président très porté sur la personnalisation du pouvoir, parce que formé à l’école de la dictature.

En substance, la démocratie constitutionnelle prônée par la 5ème République, ne cadre pas avec les ambitions personnelles d’un Président adepte des pouvoirs exceptionnels. La démocratisation nigérienne est aujourd’hui l’otage d’un Président Colonel, sur lequel veille une sorte ‘‘d’intelligentsia militaire’’ gardienne occulte de l’amnistie constitutionnelle. Sous cet angle, la 6ème République s’apparente à un subtil retour de l’Armée sur la scène politique nigérienne. Conforme aux ambitions du Président Tandja, la 6ème République instaure un pouvoir exécutif hypertrophié, sans aucun mécanisme fiable de contrôle. Le modèle de l’ancienne Cour Constitutionnelle, parce qu’il permet le développement du constitutionnalisme démocratique, qui proscrit toute possibilité de dérive autoritaire, a été abandonné. La Cour Constitutionnelle de la 6ème République, est une institution hautement politisée du fait du rôle exclusif des autorités politiques dans la désignation des juges constitutionnels. La désignation par les groupes socioprofessionnels, gage d’indépendance et d’impartialité de la Cour a été abandonnée, en souvenir du refus opposé par la défunte Cour à l’organisation du référendum illégal du 4 août 2009. L’actuelle Cour Constitutionnelle est donc une simple institution au service du Président de la République. Sur les 9 membres que composent la Cour (article 105), le Président de la République dispose à lui seul de 5 représentants. Au fond, La 6ème République, est un véritable régime présidentialiste de par son fonctionnement. Les arrestations arbitraires, les tentatives de muselage de la liberté de presse, les répressions des manifestations populaires etc., sont là pour rappeler que le Niger vient de passer de la « démocratie constitutionnelle » à la « dictature constitutionnelle ». C’est l’occasion de féliciter les rédacteurs de la Constitution de la 5ème République, car ils ne se sont pas contentés de faire plaisir aux militaires (amnistie constitutionnelle), ils ont surtout doté le Niger d’une loi fondamentale qui était favorable au développement du constitutionnalisme démocratique. L’adoption de la 6ème République à la suite du référendum constitutionnel illégal du 4 août 2009, plonge le Niger dans l’ère de l’autoritarisme, avec la bénédiction de la grande muette. Conséquemment, l’exercice du pouvoir autoritaire né du ‘‘Tazartché’’ se fait désormais en concertation avec l’Etat-major des armées, qui constitue le soutien principal du régime actuel. La récente nomination au poste de Premier ministre de monsieur Ali Badio Gamatié Vice gouverneur de la BCEAO, technocrate réputé apolitique, atteste en effet que le Président Tandja n’a plus besoin de son parti le MNSD pour diriger le Niger.

Après des perturbations (rébellion des soldats) et interruptions (putsch), le processus de démocratisation est aujourd’hui victime d’une autre forme de régression avec l’avènement de la 6ème République (coup d’Etat constitutionnel). En effet, cette dernière n’est que la consécration du retour de l’armée sur la scène politique, au moyen d’une démocratie de façade. La présupposée neutralité de l’armée face à ce chaos que vit le Niger, est indissociable de la survivance de l’amnistie constitutionnelle au référendum forcé du 4 août 2009. La reprise du processus de démocratisation au Niger passe nécessairement par une dépolitisation de l’armée. Il s’agit d’inculquer les valeurs démocratiques à l’armée, pour qu’elle fasse de l’apolitisme son mode de vie, afin de s’abstenir de toute intrusion (subtile ou affichée) dans le destin constitutionnel du Niger. En substance, la démocratisation de l’armée est un préalable incontournable pour la reprise sereine de la démocratisation tout court.
Faut-il commencer par initier une réflexion sur la nécessité d’encadrer la reconversion des anciens militaires dans la carrière politique ?

IMERANE MAIGA Amadou doctorant en droit public
FDSP – Université Lumière Lyon2

imerane@gmx.fr Cette adresse email est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir.

Notes
[1] Albert BOURGI, « La réalité du nouveau constitutionnalisme africain » in lecture et relecture de la Vème République, colloque du 40ème anniversaire, 7-8-9 octobre 1998, http://helios.univ-reims.fr/Labos/CERI/la realite du nouveau constitutionnalisme africain.htm.
[2] Stéphane BOLLE, « Le nouveau régime constitutionnel du Bénin. Essai sur la construction d’une démocratie africaine par la Constitution », Thèse, Université Montpellier I, 13 décembre 1997, p.89.
[3] Trois (3) mois seulement après la mise en place des autorités transitoires, les éléments de la garnison de Niamey prenaient d’assaut la prison civile de Kollo, qui se trouve à quelques kilomètres de Niamey, pour libérer le capitaine Maliki Boureïma qui a été déféré à la justice militaire sur décision de la Conférence Nationale, concernant l’affaire dite de Tchintabaraden, où l’agissement de l’armée entraîna la mort de plusieurs rebelles touaregs.
[4] Voir le journal le démocrate n°145 du lundi 6 mars 1995.
[5] Il s’agit du décret n° 99-320/CRN du 9 août 1999.
[6] Mamoudou Gazibo, « Niger : l’usure progressive d’un régime militaire » in Afrique contemporaine, la documentation Française, n°191, juillet-septembre 1999, p.39.
[7] Ce sont : Ali Sahad Consul du Niger en Libye, le Sergent Malam Souley chauffeur de Baré, et le Lieutenant Idé Abdou de l’Escadrille nationale.
[8] Voir http://www.amnesty.org/fr/library/asset/AFR43/006/1999.
[9] Cour Constitutionnelle du Niger, Recueil des décisions (contrôle de conformité à la Constitution), 2001-2005, pp.64- 68.
[10] Il s’agit de l’affaire de l’enlèvement de Djibrilla Hima Hamidou dit pelé, commandant d’escadron blindé de Niamey et ancien porte-parole du CRN de WANKE. Il avait été enlevé et séquestré dans la nuit du samedi 10 au dimanche 11 juin 2002. Suite à cet acte, plusieurs officiers et sous officiers furent interpellés dans un climat de violence et arrêtés par la suite. Cette situation a été analysée comme une guerre de clans, entre les militaires fidèles à la mémoire de BARE et ceux qui ont participé à son assassinat.
[11] Cette mutinerie est complexe, en ce qu’elle revêt plusieurs dimensions. Profitant de cette mutinerie, le gouvernement via les forces loyalistes, procéda à des arrestations des officiers militaires et des civils opposés à son action. On se souvient que, lors de la tenue de la trente troisième (33) assemblée de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples à Niamey du 15 au 25 mai 2003, les membres des familles des militaires et civils détenus arbitrairement après cette mutinerie ont fait des sit-in devant le palais des congrès où se déroulait la dite session.
[12] Décrets n° 2002-208/PRN/MDN du 31 juillet 2002 proclamant la mise en garde dans la région de Diffa et n°2002-210/PRN/MDN du 5 août 2002 portant mesures particulières dans le cadre de la mise en garde.
[13] Devenue Cour de Cassation depuis la révision opérée par la loi n°2004-15 du 13 mai 2004, Journal Officiel de la République du Niger, spécial n°7 du 14 mai 2004.
[14] Elhadji Sani Koutoubi Président, Lawan Oumara Grema Ari Vice-président, Abdou Inazel et Badroum Mouddour.
[15] Aux termes de l’article 15 de la loi n° 2000-11 du 14 août 2000 déterminant l’organisation, le fonctionnement et la procédure à suivre devant la Cour Constitutionnelle modifiée, « Les délibérations et avis de la dite juridiction sont rendus par cinq (5) membres au moins ».
[16] Décret n°2002-237/PRN/MDN du 23 septembre 2002 mettant fin à la mise en garde proclamée dans la région de Diffa, journal officiel de la République du Niger, 15 octobre 2002.
[17] Cour Constitutionnelle, Recueil des décisions 2001-2005 op.cit., pp. 121-124.

Aucun commentaire: