vendredi 17 juillet 2009

Niger/le coup d'état rampant/The International Herald Tribune

Jeudi 16 juillet 2009
/Niger/le coup d'état rampant/The International Herald Tribune
Le Niger se bat pour défendre sa démocratie jeune et fragile.
Niamey, Niger
Adam Nossiter

L’opiniâtreté fait son apparition dans des environnements hostiles comme celui de cette capitale au bord d’un désert, comme dans le stoïcisme des vendeurs de viande grillée sous une chaleur accablante ou la patience des chameaux qui transportent de lourds tapis en roseau dans les rues poussiéreuses. Ou encore le refus obstiné, depuis deux mois maintenant, des citoyens appauvris de se séparer d’un produit apparemment aussi fragile que la maigre verdure locale : la démocratie.
Des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue pour protester contre le coup d’état rampant du Président Mamadou Tandja pour employer les termes de ceux qui le critiquent : son intention de rester au-delà de la limite légale dans son palais de l’époque coloniale, un étincelant oasis de murailles blanchies à la chaux alignées de manière géométrique situé au milieu de bâtiments gouvernementaux délabrés et de maisons en terre séchée.
Dans sa campagne pour une nouvelle constitution qui abolirait les limites fixées au mandat présidentiel et lui donnerait plus de pouvoirs au bout de dix ans à la tête du pays, le président a dissous la cour suprême qui avait rendu un jugement défavorable suite à sa tentative de rester au pouvoir, a dissous un Parlement récalcitrant, pris des mesures pour museler les média, parmi lesquelles la fermeture d’une station de radio et de télévision, et a arrêté les dirigeants de l’opposition.
La démocratie est une nouveauté ici dans un des pays les plus pauvres de la planète, elle a à peine dix ans dans ce vaste pays essentiellement désertique, plus grand que la France, l’Espagne et le Portugal réunis.
Des gisements d’uranium, parmi les plus importants au monde, assurent des rentrées d’argent au gouvernement mais les habitants n’ont pas grand-chose.
La plupart vivent avec moins d’un dollar par jour et les taux de mortalité des mères et des enfants sont bien au dessus de la moyenne en Afrique, deux fois plus pour les femmes qui accouchent.
Le pays occupe le cinquième rang en partant de la queue à l’indice du développement des Nations Unies et une malnutrition persistante règne dans les zones rurales selon les personnes qui travaillent pour les organisations humanitaires.
Dans la capitale, les membres extrêmement boursouflés des mendiants insistants témoignent des effets de la maladie non jugulée.
Toutefois, une chose chèrement acquise par le peuple, après des décennies de coups d’état , d’hommes forts de l’armée et de gouvernements faibles, est un ordre politique qui a ressemblé à la démocratie, malgré des rechutes :
deux élections présidentielles couronnées de succès, des candidats battus qui rentrent chez eux sans provoquer de troubles, une opposition très critique et une presse vigilante même si elle est aux abois.
Les citoyens ne sont manifestement pas disposés à renoncer à leurs conquêtes fragiles. Les manifestations de rue ont cédé la place aux grèves et aux gros titres quotidiens dans la presse non gouvernementale comme celui qui proclame « le démantèlement de la démocratie » dans le Républicain de cette semaine, principal journal d’opposition.
Au marché central qui grouille de monde, l’humeur est devenue sombre et les vendeurs crient leur colère lorsqu’on cite le projet de Tazarché de M. Tandja, un mot haoussa qui signifie « continuité ».
Les syndicats et les parties d’opposition ont créé un front uni contre lui et appellent à d’autres manifestations et au boycott du référendum du 4 août de M. Tandja sur sa nouvelle constitution pour le Niger qui concentrerait le pouvoir entre ses mains et lui permettrait de se présenter après avoir exercé les deux mandats auxquels il est actuellement limité.
Le Conseil constitutionnel du pays a jugé qu’il ne pouvait pas organiser le référendum.
La solution de M. Tandja a été de dissoudre le Conseil et de remplacer ses membres. « Il y a eu une remise en cause fondamentale de la légalité » a déclaré Moussa Coulibaly, avocat, président du barreau national, en citant le fait que le président s’est récemment octroyé des pouvoirs spéciaux.
« Dans tout autre pays où la démocratie est solidement enracinée, ce qui se produit ici serait impensable. C’est d’autant plus grave que dix ans de conquêtes sont maintenant menacées. » a déclaré M. Coulibaly.
L’ex président G.W Bush a jadis rendu hommage à M. Tandja pour son adhésion aux valeurs démocratiques. Aujourd’hui, l’ancien militaire âgé de 71 ans a réalisé « la première étape d’un coup d’état » a déclaré Mohamadou Issoufou, chef de l’opposition, homme politique expérimenté, qui a été arrêté pendant la nuit et a été interrogé au siège de la police à Niamey la semaine dernière mais a été ensuite relâché. « C’est précisément cela, une étape dans un scénario classique de coup d’état » a déclaré M. Issoufou lors d’un entretien à son QG au bord d’une piste en terre battue.
M. Issoufou qui a pris la tête des manifestations a averti que l’impasse pourrait entraîner « une épreuve de force. Je suis extrêmement préoccupé par la stabilité du pays. » Pourtant si c’est un coup d’état, il a été dissimulé et présenté comme légal, M. Tandja insistant sur le fait qu’il a le droit de dissoudre d’abord une institution puis une autre, ce qui rend le mouvement de protestation qui a investi la ville de couleur brun foncé de la base au sommet d’autant plus notable.
Si c’est un coup d’état, il est furtif et pour l’essentiel n’a pas entraîné l’usage de la force. Pourtant, les citoyens sont très attentifs.
« Ce n’est pas bon du tout pour la démocratie » dit Adama Abdou, vendeur au marché alors que d’autres font cercle autour de lui et hochent la tête en signe d’approbation.
« Nous ne voulons pas de président à vie ici. Oui, la démocratie est en grand péril, en grand péril. Les Nigériens sont contre Tazarché. Nous sommes contre. » répète t-il. « Nous n’en voulons plus. Il faut qu’il s’en aille » déclare Hamani Issaka, un autre marchand. « Je ne vois pas ce qu’il a fait. Qu’est ce qu’il a fait ? Regardez les rues. Il y a de l’eau » dit M. Issaka montrant la route boueuse, pleine de nids de poule, inondée après les dernières pluies. « Tazarché, ce n’est pas bien » dit Abdoulaye Hama, marchand lui aussi. « Le pays n’est pas d’accord. Il n’y a rien à manger et il y a des tas de problèmes. Il n’a pas respecté son serment. »
Dans le palais présidentiel, édifice clair et spacieux de style mauresque construit pour les anciens gouverneurs français et bien caché par rapport à la route, M. Tandja est rayonnant et déclare que la seule raison pour laquelle il veut rester c’est parce que le peuple le supplie de le faire.
« Le peuple l’exige. J’ai pour obligation de ne jamais trahir les aspirations du peuple. C’est le peuple qui l’a demandé. » déclare M. Tandja.
Dans le grand hall à l’extérieur, une peinture murale géante représente M. Tandja, les bras levés au milieu de champs luxuriants, entourés de citoyens minuscules qui lui tendent les bras.
Dressant la liste de ce qu’il appelle ses projets menés à bien : travaux publics, amélioration du système éducatif, le président déclare :
« Quand on regarde tout cela, c’est normal que le peuple veuille vous garder aussi longtemps que possible. »
Mercredi dernier, M. Tandja s’est octroyé le pouvoir de prendre « des mesures restrictives sans préavis » contre les organes de presse qui mettent en danger « la sécurité de l’état ou l’ordre public »selon la radio d’état.
Même si les Etats Unis et l’Union européenne ont condamné les mesures prises par M. Tandja, en raison d’un accord sur le pétrole avec la Chine et du soutien du colonel Kadhafi de Libye, il est peut-être, selon les experts, relativement à l’abri des pressions occidentales, malgré la présence massive de l’aide extérieure dans le budget du Niger.
M. Tandja affirme avec insistance qu’il n’a « bafoué aucun aspect de la constitution. »
Un dirigeant syndical de Niamey qui a également mené les mouvements de protestation exprime sa colère et son désaccord :
« Malheureusement, il nous a fait rater notre entrée dans le grande cour des pays démocratiques comme le Ghana et le Mali » déclare Issoufou Sidibé, secrétaire général de la Confédération Démocratique des Travailleurs du Niger.
« Il nous a fait complètement rater ce qui aurait constitué notre entrée triomphale. Il a mis en colère tout Nigérien qui est fier de son pays. »

Traduit de l’anglais américain par Jean-Pierre Hilaire.

Article paru dans The International Herald Tribune du 14 juillet 2009

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