mercredi 10 juin 2009

"La Françafrique : la tirelire des hommes politiques français"


mercredi 10 juin 2009

La mort d’Omar Bongo, un des derniers représentants de la françafrique, marque-t-elle la fin de cette ère ?

- La disparition d’Omar Bongo ne va pas sceller la fin de la Françafrique d’un coup de baguette magique. Mais elle marque sans doute le début de la fin, car le président gabonais était un des principaux piliers du système, son père spirituel même. Son décès va donc porter un coup sévère aux échanges entre la métropole et ses anciennes colonies d’Afrique, basées sur le "donnant-donnant", la répartition de la manne pétrolière entre les responsables français et le clan au pouvoir à Libreville. Mais il reste encore d’autres chefs d’Etat symbolisant la Françafrique : Paul Biya au Cameroun ou Denis Sassou-Nguesso au Congo-Brazaville, par exemple. La mort de la Françafrique serait plus facile à décréter depuis Paris. C’est ce qu’on avait d’ailleurs cru comprendre lors de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy, en 2007. Mais une fois élu, le premier à venir le féliciter était Omar Bongo et le chef d’Etat français lui a rendu une visite de courtoisie en retour, en gage de fidélité. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État chargé de la Coopération et la Francophonie s’est d’ailleurs fait limoger sur insistance de Bongo : le Mulhousien avait un peu trop pris à la lettre les promesses de campagne de Nicolas Sarkozy. La Françafrique reste donc aujourd’hui une espèce de tirelire dans laquelle les hommes politiques français peuvent venir puiser lorsqu’ils sont en pleine traversée du désert ou nourrissent des ambitions électorales élevées.

La majorité de la classe politique française a salué Omar Bongo, faisant parfois fi des problèmes de démocratie ou des dérives du président défunt. La France essaye-t-elle de protéger ses intérêts économiques, politiques ? Quels intérêts se cachent derrière ?

- La première réaction à un décès reste toujours d’envoyer un message de gratitude. C’est de la politesse élémentaire. D’autant qu’on est ici en pleine diplomatie, avec des intérêts stratégiques et économiques à préserver. La France a de gros intérêts au Gabon : elle y entretient une base militaire et Total y exploite du pétrole. Tout cela est présent derrière les condoléances. Même Barack Obama s’est dit attristé de la disparition de Bongo alors que tous les comptes américains de l’ancien chef d’Etat gabonais à la Citybank à New-york ont été saisis il y a quelques années dans le cadre d’une enquête anti-blanchiment. Il n’est pas anodin de voir que les principales critiques émanent de Valéry Giscard d’Estaing, ou de personnalités politiques comme Noël Mamère et Eva Joly. Le premier n’est plus au pouvoir et les autres sont dans l’opposition. On est toujours pour la fin de la Françafrique quand on est dans l’opposition. Une fois au pouvoir, tout change, l’exemple de la volte-face de Nicolas Sarkozy à peine élu le montre bien. C’est de notoriété publique : Bongo a toujours financé les partis politiques, de gauche comme de droite, pour avoir la paix. Le Gabon est une des pompes à finance de la politique française. Cela permettait à Omar Bongo de continuer ses activités au Gabon sans être gêné et même soutenu par le pouvoir français.

La fin du règne d’Omar Bongo laisse-telle une chance au Gabon de sortir de la crise sociale et d’avoir une plus grande expression de l’opposition ?

- Actuellement il y a une lutte entre son fils et sa fille pour savoir qui lui succèdera. Une chose est pratiquement sûre : ce sera quelqu’un de la famille. Une autre certitude : ils ne pourront pas rester 40 ans au pouvoir comme leur père. Ils n’ont absolument pas la même envergure politique que lui. Ils ne connaissent pas aussi bien le système, ni les arcanes du métier. J’imagine très mal le successeur d’Omar Bongo injecter de la démocratie dans le pays. Les enfants n’ont pas l’habileté politique de leur père. La véritable inquiétude se situe à moyen et à long terme. Celle de voir tomber le pays dans le chaos, à l’image de la Côte-d’Ivoire. Omar Bongo maintenait une certaine paix civile avec ses méthodes contestables mais au fond efficaces. Il a toujours acheté ses opposants quand ils devenaient trop gênants, allant même jusqu’à les intégrer au gouvernement. Ses enfants ne sauront vraisemblablement pas agir de la sorte. Et il est alors fort probable qu’il y ait une vraie déflagration au Gabon et que différents clans, à terme, s’opposent durement. Le Quai d’Orsay est d’ailleurs en alerte depuis l’annonce de la maladie de Bongo. Il est tout à fait possible que la base militaire française au Gabon serve à maintenir l’ordre à un moment ou à un autre. Paris reste très attentif au danger maintenant que "papa" Bongo n’est plus.

Interview d’Olivier Toscer par Beril Balkan

Aucun commentaire: