jeudi 11 juin 2009

De la tentation du chaos au sursaut patriotique : Éléments de réflexion pour une gouvernance apaisée et constructive au Niger


Abdoulahi ATTAYOUB - Temoust Lyon -
(France) 11-06-09

Si le changement de Constitution ne devait servir qu’à contourner l’impossibilité pour le chef de l’État de prolonger son mandat, cela serait dommageable pour le processus démocratique. En revanche, s’il s’agissait de proposer une nouvelle Constitution qui tienne compte des insuffisances constatées dans le fonctionnement des institutions et qui se rapproche plus des aspirations réelles de l’ensemble du peuple nigérien, alors le débat aurait sa raison d’être et le président actuel aurait le mérite de le proposer.

Et si la VIème République était la bonne !!!!


Le tollé suscité par la volonté du président de changer la Constitution a l’allure d’un sursaut national destiné à indiquer au chef de l’État la ligne jaune, cette ligne qu’il ne pourrait franchir sans prendre le risque de déstabiliser le pays. Cependant, l’avalanche de réactions et de prises de position paraît surprenante de la part d’une classe politique qui brille par son silence et sa démission du débat politique depuis plusieurs années. Comme si la démocratie était pour cette dernière réduite aux élections et à l’alternance des différents clans au pouvoir…

Au-delà du débat en cours, il faudrait rappeler le contexte dans lequel l’actuelle Constitution a été rédigée et proposée au peuple. En effet, suite à l’assassinat du président Baré, l’ensemble de la classe politique avait fait voter le peuple en faveur d’une Constitution qui permettait de protéger les auteurs de ce crime et leurs complices. Ce qui a largement contribué à discréditer la classe politique nigérienne et à affaiblir le processus démocratique. Ce consensus de nos dirigeants pour constitutionnaliser l’impunité a été un acte lourd de conséquences qui disqualifie encore aujourd’hui l’opposition quand elle crie à l’atteinte aux valeurs démocratiques. Il y a là un problème de cohérence et de morale politique qui rendent peu crédibles les appels de l’opposition, quelle que soit par ailleurs leur justesse. Dans un pays comme le Niger, la pratique politique, plus qu’ailleurs encore, a une dimension pédagogique essentielle à l’enracinement de l’esprit démocratique dans la société.

Le président Tanja a devant lui une occasion de marquer positivement l’Histoire du pays et de mettre réellement celui-ci sur les rails du développement. Cette nouvelle initiative pourrait donner l’occasion au Niger de sortir définitivement du cycle de violence et d’instabilité. Pour cela, il semble impératif que les choses soient prises dans un ordre logique et porteur d’avenir.

Aucun président n’a encore eu l’audace ou l’opportunité de déconstruire le schéma hérité de l’administration coloniale pour offrir au peuple nigérien la possibilité de se penser et de se donner des institutions authentiques à travers un pacte national et républicain basé sur la prise en compte de sa diversité et de ses réalités socioculturelles. Pour lancer cette refondation de notre pacte national, il faudrait réaffirmer les liens qui unissent les différentes communautés nationales et l’impérieuse nécessité d’une intelligente coexistence, dans un cadre garantissant à chacune d’elles son épanouissement et son développement. Aujourd’hui, nous savons que tel n’est pas le cas. De manière sournoise et « naturelle », comme diraient certains, l’hégémonie culturelle de certaines communautés menace la survie d’autres. Avec la complicité, peut être aussi « naturelle », de l’État. L’État se doit non seulement de reconnaître notre diversité, mais aussi et surtout de la protéger par des règles appropriées. Rien ne peut être laissé au hasard dans ce domaine, sinon cela pourrait conduire inévitablement à l’injustice, à des frustrations et, finalement, à la violence.

C’est pour cette raison qu’un changement de Constitution pourrait être l’occasion pour l’actuel président de proposer un véritable pacte national partagé par l’ensemble des Nigériens, car fruit de leur propre volonté politique. Il permettrait de stabiliser de manière indiscutable et donc durable ce qui fait le socle de la nation. Assuré de cette stabilité, le pays serait mieux armé pour faire face aux défis du développement et connaître une réelle vie démocratique. Il n’est pas normal que les moyens de l’État soient utilisés pour continuer à stigmatiser ceux qui rappellent les dysfonctionnements et les déséquilibres qui existent au sein des institutions. Certaines pratiques discriminatoires de l’État sont bien plus subversives et plus dangereuses pour l’unité nationale que les rébellions et autres formes de contestation du système.

En prenant comme exemple la place de la communauté touarègue dans le système politique et dans les rouages de l’État, on peut aisément se rendre compte des injustices qui minent le pays et menacent sa cohésion nationale. En effet, malgré l’importance démographique de cette communauté, (un Nigérien sur cinq est touareg), et le fait qu’elle couvre pratiquement tout le territoire national, elle reste encore à la marge de la décision politique et son poids dans la vie du pays demeure insignifiant. Il suffit d’observer la composition de la haute administration, de l’armée, du corps diplomatique... On peut également s’étonner du fait que très peu de jeunes Touaregs bénéficient de bourses pour poursuivre des études supérieures.

La place du Tamasheq dans les médias publics reste ridiculement insignifiante, alors qu’il s’agit là d’un moyen efficace de renvoyer aux citoyens une image de leur pays qui leur ressemble. Dans le même ordre d’idées, il est révélateur de l’état d’esprit de nos dirigeants de voir la place qu’ils font aux Tifinagh dans la définition de notre identité nationale. Il est, en effet, curieux que personne au Niger ne se pose la question de la valorisation de cet alphabet alors que nous sommes en quête de symboles pour nous construire une conscience et une fierté collectives. Serait-il plus patriotique de partager l’uranium que les Tifinagh ?

Une nouvelle Constitution ne pourrait se justifier que si le président de la République prenait de la hauteur et proposait au pays un projet dont les ambitions dépassent les motivations qu’on lui prête aujourd’hui. Ce projet doit faire la synthèse des aspirations du peuple en s’appuyant sur les expériences qui peuvent déjà être tirées du processus démocratique depuis la Conférence nationale. Il appartiendra au Comité chargé de rédiger les textes de n’oublier aucune dimension, car la loi fondamentale ne devrait être qu’une traduction de la volonté du peuple qui se l’attribue. Il faudrait que ce Comité dispose de la marge de manœuvre nécessaire pour transgresser certains tabous et proposer un texte susceptible de projeter le pays dans un avenir institutionnel moins verrouillé et plus conforme aux réalités nationales.

Abdoulahi ATTAYOUB Temoust Lyon (France)

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