samedi 11 avril 2009

La rivière artificielle libyenne suscite des craintes


Faycal Métaoui Les Afriques 10-04-09
La rivière artificielle libyenne suscite des craintes

samedi 11 avril 2009

Il existe, selon l’UNESCO, 273 aquifères souterrains transfrontaliers dans le monde. 38 se situent en Afrique. Leur exploitation est la source de futures tensions géopolitiques. Dans le cas du Système aquifère du Sahara septentrional (SASS) c’est presque déjà le cas.

La rivière artificielle libyenne suscite la crainte des voisins

Le cinquième Forum mondial de l’eau, qui s’est tenu à Istanbul en Turquie du 16 au 22 mars 2009, a discuté de la meilleure manière « d’établir des ponts entre les divisions pour l’eau », mais n’a pas proposé de solutions concrètes. En Afrique du Nord, un contentieux existant entre l’Algérie, la Libye et la Tunisie sur la gestion des ressources hydriques communes n’a toujours pas été réglé. Ces trois pays se partagent le Continental intercalaire profond qui est l’un des plus grands systèmes aquifères au monde. Il occupe les formations continentales du crétacé inférieur saharien comme le néocomien et l’albien. Il fait partie de ce que les experts appellent le Système aquifère du Sahara septentrional (SASS) dont la capacité est de 60 000 milliards de mètres cubes. Ce bassin englobe des couches aquifères regroupées en deux réservoirs, le Complexe terminal et le Continental intercalaire, le second étant plus ancien et plus profond que le premier. Selon de récentes études, la nappe du complexe terminal CT est plus exploitée dans les trois pays. La sonnette d’alarme a été tirée en Algérie pour rationaliser cette exploitation. La plus grande surface du SASS se trouve en Algérie avec 700 000 km², suivie de la Libye avec 250 000 m² et de la Tunisie 80 000 m². L’Observatoire du Sahel et du Sahara, organisme international, s’occupe de la supervision scientifique du SASS en s’appuyant sur des modèles mathématiques.

« Le rythme d’extraction y est actuellement si élevé que, dans moins de cinquante ans, la Libye devra diviser par dix ses approvisionnements en eau souterraine », préviennent les experts.

Pollution et surexploitation menacent les nappes

La salinisation et la pollution pose déjà des problèmes en Algérie pour la gestion de cette ressource précieuse. L’activité touristique intense en Tunisie a induit une surexploitation des nappes souterraines. En Libye, 90% de l’eau consommée provient du pompage direct dans les stocks souterrains du pays. « Le rythme d’extraction y est actuellement si élevé que, dans moins de cinquante ans, la Libye devra diviser par dix ses approvisionnements en eau souterraine », préviennent les experts.

Globalement, d’ici 2020, 75 à 250 millions de personnes pourraient être exposées à un stress hydrique accru du fait du changement climatique en Afrique. Cette situation fait que le projet libyen de la Grande rivière artificielle (Great Manmade River) est mal vu par les pays voisins. Il suscite des craintes parmi les spécialistes en géostratégie, dans la mesure où il est perçu comme une menace pour la stabilité du Maghreb. Pour l’universitaire italienne Eugenia Ferragina, le projet libyen est peu rentable sur le plan économique. « Il crée une source de tensions potentielles avec les pays voisins. Cela peut devenir une course au pompage, une course pour voir qui arrivera à extraire l’eau en premier », a soutenu lors du Forum d’Istanbul cette consultante à l’Union mondiale pour la nature (UICN). Selon elle, la rivière artificielle va accélérer l’assèchement de la terre puisque l’eau pompée ne sera pas remplacée.

Un accord pour les seules eaux de surface

Lancé en 1991 après une étude d’une firme américaine, ce projet, qui est doté d’un budget de 33 milliards de dollars, n’est toujours pas achevé. Il consiste à pomper l’eau profonde (1500 mètres) du SASS. L’eau sera orientée vers une canalisation souterraine qui, à terme, alimentera les villes du littoral et améliorera l’irrigation des champs agricoles. La canalisation est longue de 3000 km. La durée de vie de la rivière, d’après plusieurs prévisions, ne dépasse pas les 100 ans. L’Egypte voisine perçoit avec beaucoup d’inquiétude le projet libyen, du fait des conséquences sur le Nil, qui risque de perdre de son débit à cause du pompage excessif des eaux souterraines. Les accords conclus par Tripoli avec l’Algérie et l’Egypte, ne portent que sur le partage des eaux de surface. L’Algérie a lancé un immense projet de transfert d’eau d’In Salah vers Tamanrasset (2000 km au sud d’Alger). A sa manière, l’Algérie pompe déjà dans les eaux souterraines du Continental intercalaire, à 600 mètres de profondeur. Le projet mise sur un transfert de 50 000 m3/jour et jusqu’à 100 000 m3/jour d’ici à 2025. Tripoli ne semble pas apprécier cette opération perçue comme « un nouveau défi algérien ».

Par Faycal Métaoui, Alger

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