samedi 25 avril 2009

Amadou Toumani Toure. Président du Mali/« Nous refusons de jouer le rôle de passeur d’argent »


Amadou Toumani Toure. Président du Mali
« Nous refusons de jouer le rôle de passeur d’argent »

C’est un homme très inquiet, non seulement de la présence des terroristes du GSPC sur son territoire, mais aussi des risques que cette présence peut entraîner sur les relations de son pays avec l’Algérie. Dans l’entretien qu’il a bien voulu nous
accorder dans sa résidence de Bamako, Amadou Toumani Touré, président du Mali, affirme que son pays refuse de jouer le rôle de passeur d’argent dans les prises d’otages. Il rejette également les accusations portées à son encontre selon lesquelles son pays aurait accordé l’hospitalité aux terroristes d’Al Qaïda, notamment au nord du Mali.

La région du nord du Mali connaît une activité inquiétante des groupes terroristes, notamment avec les enlèvements de touristes suivis de demandes de rançons. Que fait le Mali face à cette nouvelle menace ?

Aujourd’hui le plus important dans cette région est la paix entre les différentes communautés. Mais il ne faut pas se tromper. Ce n’est pas l’ensemble de la communauté targuie qui était en rébellion, mais une partie seulement. Grâce à l’accord d’Alger, aux efforts maliens et surtout à notre disposition en faveur d’un règlement, nous sommes aujourd’hui tous dans une logique de paix. Pratiquement, tous les combattants ont rejoint nos forces et ont déposé les armes. Nous sommes en train de dégager la voie pour la réinsertion des jeunes rebelles….

Pensez-vous que toutes les armes ont été déposées ?
Je dis que le dépôt des armes est beaucoup plus symbolique parce qu’il repose sur une volonté politique et morale de mettre fin à un évènement. De ce fait, je pense que personne ne peut avoir l’illusion que toutes les armes ont été déposées. D’abord, nous n’avons pas l’inventaire de toutes les armes et nous pensons que même si quelques unes restent entre les mains de certains, cela ne remettra pas en cause la volonté de mettre fin à la violence. Il faut aussi savoir que le peuple malien est un peuple de guerriers. De ce fait, si certains gardent leurs armes c’est uniquement pour leur sécurité. Le plus important est que les armes déposées constituent un lot considérable, y compris en munitions. C’est un geste fort qui mérite d’être soutenu. Nous sommes en période de consolidation de la paix par la mise en œuvre des projets relatifs au développement local.

Vous êtes sur le point de tourner la page de la rébellion au Nord, mais que comptez-vous faire pour lutter contre les réseaux d’Al Qaïda au nord ?

Nous sommes conscients de ces menaces et dangers, mais à un moment nous étions plus partagés ou plutôt préoccupés par la situation très grave de la rébellion qui menaçait l’unité nationale. C’était le problème des touareg, et pendant des années nous avions les deux évènements en parallèle. Aujourd’hui, grâce à Dieu, nous avons pu ramener la paix. Mais en ce qui concerne le problème des salafistes, je pense qu’il est plus juste de dire qu’ils sont dans la bande sahélo-sahélienne et non pas uniquement au nord du Mali. Ils voyagent beaucoup, ils se déplacent tout le temps et sont dans cette région depuis longtemps. Nous avons senti toutes les menaces qui pèsent sur cette région, à savoir le trafic de cigarettes, d’armes, de munitions et de drogue, les passeurs de clandestins et la présence des salafistes. Toutes ces menaces sont transfrontalières et aucun des pays ne peut trouver, seul, la solution pour y faire face. Raison pour laquelle le Mali a proposé l’organisation d’une conférence, à Bamako, sur la paix et le développement. Toutes les dispositions ont été prises et nous espérons qu’elle ait lieu le plus tôt possible, puisque les travaux préparatoires ont été terminés et les textes de base élaborés par les experts de chaque pays participant et leurs ministres des Affaires étrangères, à savoir le Tchad, la Libye, l’Algérie, le Niger, le Mali, le Burkina Faso et la Mauritanie. Nous attendons la réunion des chefs d’Etat pour apporter leur caution politique et dégager un plan commun pour gérer ensemble cette bande sahélo-sahélienne qui, à l’heure actuelle, nous échappe à tous.

Comment expliquez-vous que le Mali se retrouve, après chaque enlèvement, le pays où les terroristes négocient la libération des otages en réclamant des rançons ?

Vraiment je ne sais pas pourquoi. Vous avez peut-être remarqué qu’aucune prise d’otages n’a eu lieu au Mali, mais dans les autres pays situés au Nord à l’Est et à l’Ouest. Maintenant la question que moi je me pose est de savoir pourquoi les otages ont été enlevés là-bas et pour quelles raisons les terroristes ont-ils fait autant de distance pour les ramener au nord du Mali ? Nous avons fait des investigations très profondes et nous nous sommes rendu compte que c’était un peu exagéré. Ils sont dans la bande sahélo-sahélienne et non pas uniquement au Mali. Ils bougent beaucoup et s’arrêtent rarement dans un endroit. En 24 ou en 48 heures, ils traversent les frontières d’un pays à un autre. Donc, dire qu’ils sont au nord du Mali est pour moi vraiment réducteur. Raison pour laquelle je dis qu’il faut conjuguer nos moyens pour lutter ensemble contre ces menaces. Il faut arrêter de nous renvoyer la balle et de coordonner plutôt nos efforts pour pacifier cette région.

Même si les enlèvements ont eu lieu dans d’autres pays, vous ne pouvez contester le fait que les otages ont été transférés vers le nord du Mali, où les négociations pour leur libération sont en cours ?
Non, ils ne sont pas au nord du Mali. Je voudrais être clair ; le Mali ne veut pas entrer dans une polémique sur le fait qu’ils soient sur son territoire ou pas. Je dis qu’ils ne sont pas seulement au Mali, mais sur toute la bande sahélo-sahélienne. Nous savons qu’ils bougent et qu’ils vont d’un pays à un autre dans un espace de temps réduit. Pour nous, cela a peu d’importance. Effectivement, le Mali a eu à nouer le dialogue et à chercher dans quelles mesures il pouvait aider. Maintenant, dès qu’il y a une prise d’otages, on dit que les auteurs sont au Mali, c’est vraiment exagéré. Il est vrai que le Mali s’est impliqué dans le dénouement de la prise d’otages qui a eu lieu en Algérie en 2004, puis dans celle qui a ciblé des Autrichiens en Tunisie. Aujourd’hui aussi, le Mali essaye de s’investir pour voir quelles solutions il faudra trouver pour libérer les otages dont vous parlez. Mon pays est dans une situation très embarrassante et la plus gênante. On dit qu’ils sont au Mali et tout le monde vient au Mali pour nous demander de l’aide dans le cadre du dénouement de l’affaire. Nous disons seulement que nous ne sommes pas responsables de ces prises d’otages. Aucun des otages n’a été enlevé au Mali. Raison pour laquelle nous avons dit qu’au lieu de continuer à chercher qui est responsable, il faut plutôt penser ce que nous devons faire pour empêcher ces enlèvements et pacifier cette zone dont la sécurité concerne tout le monde.

Ne pensez-vous pas que le paiement d’une rançon pour la libération des touristes allemands en 2004 a été pour beaucoup dans la multiplication des enlèvements suivis de demandes de rançon ?

Je pense surtout que ces prises d’otages risquent de porter préjudice à tous les pays de la région. Regardez ce qui se passe dans le golfe d’Aden, avec les actes de piraterie et tous les navires militaires dépêchés dans la zone par de nombreuses puissances. C’est le monde entier qui se sent concerné par ce phénomène de rançon. Je sais qu’il y a un dilemme extrêmement important : payer pour libérer les otages et, de ce fait, prendre le risque de voir cet argent utilisé contre nous-mêmes, ou ne pas payer et laisser les otages en détention le plus longtemps possible. Maintenant, je dis, cessons de nous accuser mutuellement et parlons entre nous de cette menace qui pèse sur la bande sahélo-sahélienne. Je dis aussi qu’il ne faut pas se voiler la face et cherchons une solution ensemble. Les rançons ne sont pas le monopole de la bande sahélo-sahélienne. Nous avons vu ça ailleurs et à plusieurs échelles. Il est maintenant important de savoir comment la communauté internationale fait face à de telles demandes et quelles sont les solutions les plus appropriées à prendre.

Vous avez déclaré publiquement lors des dernières prises d’otages : « Trop c’est trop !!! ». C’est trop par rapport à quoi ? Les prises d’otages, les rançons ou le fait que le Mali soit utilisé comme terre de négociations par les terroristes ?

D’abord, les otages ne sont pas Maliens. Les auteurs de l’enlèvement non plus et l’endroit du rapt est hors de nos frontières. A la limite, de quoi nous mêlons-nous ? Nous nous retrouvons dans des situations ambiguës : c’est-à-dire d’une part, face à une situation humanitaire où il faut vite aider, et d’autre part, face à une autre situation, cette fois-ci sécuritaire, qu’il ne faut pas encourager. Nous sommes fatigués d’être face à ces dilemmes, fatigués de gérer des situations aussi ambiguës et aussi gênantes. Nous aurions pu adopter la position de certains en disant que ce problème ne nous regarde pas, dès lors qu’ils estiment que la bande sahélo-sahélienne est le nord du Mali. Il faut que nous sortions de ce cercle vicieux et que nous nous regardions en face, que nous parlions ensemble au lieu de chercher qui a fait quoi. Ce qui est certain, c’est que ces salafistes ne sont pas Maliens. Ils viennent de quelque part non ? Des Maliens sont parmi eux… Nous, nous n’avons pas de preuves que des Maliens font partie de cette bande de salafistes, mais je ne l’exclus pas. C’est là aussi qu’il faut prendre en compte la dimension de ce groupe qui prône le nationalisme et entraîne toute la bande sahélo-sahélienne, en profitant de nos faiblesses, avec toutes les conséquences que cela peut engendrer.

En 2004, le nombre de salafistes évoluant dans la bande sahélienne ne dépassait pas la soixantaine, alors qu’aujourd’hui, ils ne sont pas moins de 250. Vous ne pensez pas qu’ils ont trouvé un terrain propice dans cette région pour l’installation d’une base arrière qui pourrait menacer le Mali ?

Le danger est d’abord pour l’Algérie. Parce que c’est elle qui se bat depuis des années contre cette force terroriste. Ce n’est pas le cas du Mali. A ce jour, le Mali n’a jamais été la cible des salafistes. Mais tout ce qui arrive à l’Algérie nous touche vraiment. Ce qui me surprend, c’est plutôt la passivité des uns et des autres.

Vous voulez dire les pays frontaliers ?

Tous les pays de la bande sahélo-sahélienne nous disent, vous devez faire ça, mais alors pourquoi eux ne l’ont-ils pas fait ? Nous avons dit que l’ère des rançons est internationale et toutes les menaces auxquelles nous faisons face ont une dimension internationale. Les réponses ne peuvent être qu’internationales. Réunissons-nous et discutons ensemble pour empêcher les prises d’otages et sécuriser la bande sahélo-sahélienne. Raison pour laquelle, d’ailleurs, le Mali attend cette conférence des chefs d’Etat qui, selon nous, est la meilleure tribune pour prendre en charge ces menaces.

Tout le monde sait que la libération des deux otages autrichiens enlevés en Tunisie a été faite en contrepartie d’une rançon négociée par certains notables maliens, alors qu’officiellement vous dites n’avoir joué aucun rôle dans cette affaire. Qu’en est-il alors ?
Maintenant, je vais vous parler en tant que président du Mali et ami de l’Algérie. S’il y a eu rançon, je ne le sais pas, parce que rappelez-vous, les otages sont restés neuf mois entre les mains des terroristes. Le Mali s’est limité à établir des contacts humanitaires. Nous avons accepté d’aider nos amis autrichiens qui sont aussi les amis de l’Algérie. Je le dis, en tant qu’officier d’honneur, et je regarde l’Algérie, tout en le disant, que personnellement je ne sais pas s’il y a eu une rançon. Et s’il y en a eu une, je ne sais même pas quel a été le montant et s’il a été versé. Ce dont je peux vous assurer, c’est que ni le Mali, ni son président, ni ses responsables officiels n’ont été impliqués dans une telle transaction, si tel était le cas. Vous savez que nous n’avions pas de contacts directs avec les ravisseurs, mais nous passions par des intermédiaires qui, eux, passaient aussi par d’autres intermédiaires. C’est vrai qu’il y a eu une demande de rançon, mais j’ai été catégorique, en disant que je n’accepterai pas de servir pour son paiement. Notre rôle se limitait aux contacts humanitaires seulement. Nous avons refusé d’entrer dans ce jeu parce nous savons que cela allait se retourner contre nos amis, alliés et voisins, mais aussi contre nous.

Un commandant a été dépêché par vos services pour négocier avec les ravisseurs la libération des Autrichiens. Il a été tué en cours de route et les accusations ont été portées contre certains de vos militaires qui auraient changé le cours des négociations pour arracher le paiement d’une rançon. Qu’en pensez-vous ?

Le commandant Mbarka a été tué à la sortie de Kidal et jusqu’à ce jour l’enquête n’a pas déterminé pourquoi et par qui. Où Mbarka partait ? Je ne le sais pas.

Certains disent que c’est vous qui l’aviez désigné en tant que négociateur, il aurait été détenteur d’un ordre de mission signé par vous…

Non, pas du tout.

Qu’en est-il des otages actuellement détenus par des salafistes au nord de votre pays ?
Nous sommes en train de tout faire, dans un cadre humanitaire pour que l’ensemble de ces otages soient libérés sains et saufs. A tort ou à raison, nous avons maintenant une réputation de négociateurs. Une mission qui ne nous plaît guère. Que faudrait-il faire ? Croiser les bras et attendre ? Nous sommes vraiment coincés entre les hésitations, raison pour laquelle nous voulons que le sommet des chefs d’Etat ait lieu le plus rapidement possible pour que nous puissions parler. Les gens disent, ils sont au nord du Mali, et le Mali est un pays souverain qui n’a qu’à s’ouvrir. Pour nous, la faute ne nous incombe pas. Nous sommes très mal à l’aise. C’est toujours à nous qu’on demande de l’aide et cela nous gêne. Mais il y a une responsabilité que chaque pays doit prendre. Revenez un peu en arrière. Il y a eu une première prise d’otages en 2004, puis une autre, suivie de deux autres et nous continuons à nous renvoyer la balle. Jusque-là, nous n’avons rien fait. Nous ne faisons qu’attendre une autre prise d’otages pour commencer à nous accuser mutuellement. Le sommet sahélo-sahélien est important. Il nous permet de parler entre nous sur la situation. Aucun pays, seul, ne peut faire face à la menace.

Les preneurs d’otages exigent une rançon et vous, vous refusez d’accepter de jouer ce rôle d’intermédiaire pour le paiement. Comment comptez-vous agir pour faire libérer les otages mais aussi éviter de tels actes ?

Soyez sûre d’une chose. Le Mali n’acceptera jamais de servir dans une quelconque transaction financière entre les ravisseurs et les pays d’origine des otages. Nous acceptons de passer par des intermédiaires pour avoir des nouvelles et de nous investir dans le domaine policier pour voir ce qu’il faut faire. Mais il est important aussi de savoir que ces gens n’ont pas besoin du Mali pour négocier une rançon. Le désert est grand et les contacts sont multiples. Ils n’ont donc pas besoin de nous. De notre côté, nous avons clairement dit à qui veut l’entendre que le Mali ne jouera pas le rôle de passeur d’argent…

Même dans l’affaire des otages autrichiens ?

Je ne sais pas s’il y a eu une rançon, ni qui l’a versée. Le Mali a refusé de s’impliquer dans une telle transaction.

Mais il l’a fait lors de l’enlèvement des touristes allemands en 2004…

Ces Allemands ont été enlevés en Algérie… Puis, ils ont été emmenés au nord du Mali pour négocier une rançon, obtenue par l’intermédiaire des Maliens… Il faut quand même se poser la question sur l’endroit où ils ont été enlevés. Nous nous sommes toujours demandés pourquoi les otages sont enlevés ailleurs et dirigés chez nous. La première responsabilité c’est là où les otages ont été enlevés. Cette responsabilité ne doit pas être occultée. Pourquoi des pays qui ont plus de moyens que le Mali n’ont pu les empêcher de traverser la frontière ? Ce n’est pas un reproche, parce que nous savons comment les choses se passent. Par contre, nous aussi, nous ne pouvons accepter d’être accusés sans avoir la possibilité de nous défendre. Qu’on aide le Mali à trouver des solutions. Vous savez que ses moyens sont limités. Il est pris entre l’étau de deux situations difficiles. Accepter de servir de passeurs d’argent au profit des terroristes, cela se retourne contre nous. Rester les bras croisés, cela aussi se retourne contre nous. Que pouvons-nous faire ? Pourtant, ce n’est pas notre problème. Des partenaires des pays de l’Europe, les Nations unies, le secrétaire général de l’ONU, nous interpellent et nous disent qu’il faut que le Mali s’implique. Que faut-il faire ? Rester les bras croisés ?

Tous ces pays vous demandent de servir d’intermédiaire ?
Non…mais dans tous les cas, personne ne peut nous obliger à jouer ce rôle. Nous jugeons la situation en fonction de notre conscience, et nous nous abstenons de jouer le rôle de passeur d’argent. Vous êtes-vous demandé pourquoi les otages autrichiens sont restés neuf mois entre les mains de leurs ravisseurs. J’ai dit clairement que s’il y a transaction, elle se fera sans mon pays.

Est-ce la raison de cette longue détention ?

Je ne sais pas. Mais ce que je sais c’est qu’à chaque fois qu’il y a une prise d’otage, le Mali est désigné comme négociateur. Je voudrais préciser aussi que le Mali n’a pas vu un sou et ne s’est jamais impliqué en tant que passeur d’argent. Sur un plan moral et humanitaire, nous avons reçu des équipes chez nous et tenu qu’elles soient là, à leur apporter notre aide et assistance afin qu’elles soient plus près des événements. Nous l’avons fait par amitié à ces pays, à nos partenaires au secrétaire général des Nations unies, qui nous a appelés pour nous demander de nous investir. Je pense que ces otages ne concernent pas seulement le Mali, mais aussi le système des Nations unies auquel, nous tous, nous participons. Le diplomate onusien est venu dans nos pays pour une mission de paix et il a été enlevé. Nous sommes tous sommés de nous impliquer pour sauver sa mission, pas parce qu’il est Canadien, un pays qui a de fortes relations avec les Etats de la région, mais aussi parce que c’est un cadre des Nations unies. Je pense que la responsabilité est partagée par tous les pays de la région.

Pensez-vous que leur détention ne sera pas longue comme celle des deux Autrichiens ?

Vraiment, je ne sais dans quel état sont les otages. Mais je souhaite qu’ils soient tous libérés le plus tôt possible. D’abord vis-à-vis des Nations unies, parce qu’enlever un cadre de cette institution donne une très mauvaise image du continent en général et de la bande sahélo-sahélienne en particulier. Le Mali seul ne peut rien faire. Si nous nous engageons dans ces affaires d’enlèvement, c’est uniquement dans un but humanitaire et non pas comme passeur d’argent. Nous savons à quoi sert cet argent et le préjudice que ces fonds vont causer à des pays frères et amis comme l’Algérie.

Nous ne comprenons pas comment les terroristes trouvent l’hospitalité auprès de la population du nord du Mali, alors que dans d’autres régions pourtant similaires comme le nord du Niger, de la Mauritanie et du Tchad, ils sont pourchassés.

Mais d’où sont-ils venus ?

Ils ont fui le sud de l’Algérie parce qu’ils n’étaient pas en sécurité, qu’ils semblent avoir trouvée au nord du Mali...

Non, non…avec toute l’amitié et l’estime que j’ai pour votre pays, il va falloir que je parle franchement avec vous. C’est facile de dire pourquoi le Mali n’a pas fait ou aurait dû faire. Les questions que je me pose sont : pour quelles raisons sont-ils venus au Mali ? Comment ont-ils fait pour y arriver ? Quelle voie ont-ils empruntée ? Qu’ont fait les autres pour les empêcher de franchir les frontières ? Je pense que l’important n’est pas de dire qu’ils sont au nord du Mali ou du Niger. Réfléchissons un peu : pour se sentir un peu libre, il est plus judicieux de choisir l’extrême nord du Mali, qui est à proximité de l’Algérie, la Mauritanie. Le nord du Niger n’est pas rentable, parce qu’il n’y a que l’Algérie et le Niger. De plus, la rébellion qu’a connue le nord a rendu la région totalement hostile aux personnes qui viennent se promener. Une situation aggravée par les affrontements fratricides entre quelques groupes de touareg. Donc, en tant que soldat, si je dois aller chercher un refuge quelque part, j’irais certainement dans cette région. Ils n’ont ni visa ni passeport, y a-t-il plus propice pour eux qu’un terrain où l’insécurité est totale ?

Le diplomate onusien a été enlevé par des contrebandiers et remis aux terroristes. Ne pensez-vous pas que cette transaction démontre la corrélation dangereuse entre les terroristes et les trafiquants en tous genres dans la région ?

Absolument. C’est pour cette raison qu’il faut que nous parlions entre nous, en tant que chefs d’État, de ces menaces. Chacun de nous est resté chez lui en se disant que cela ne le concernait pas. En définitive, aujourd’hui tout le monde accuse la bande sahélo-sahélienne, qui est en réalité, nous tous, le Mali, le Niger, la Mauritanie… Dieu seul sait les efforts que l’Algérie fait vis-à-vis de ce phénomène et combien son peuple a souffert. Il lui a fallu beaucoup d’héroïsme et d’engagement pour lutter contre ce fléau. Comment après tous ces efforts, toutes les propositions faites par le président Bouteflika pour faire revenir la paix, nous nous retrouvons incapables de réagir contre cette situation. Je pense effectivement qu’il y a une constante qui réunit différents types de trafic très rentables : la vente de cigarettes, d’armes et de munitions, les passeurs qui acheminent les clandestins vers l’Europe dans des conditions inhumaines, et qui souvent les laissent mourir dans le désert, et le trafic de drogue, la reine des menaces, le danger le plus insidieux. La drogue vient de la Colombie par le golfe de Guinée et traverse la bande sahélo-sahélienne pour être dirigée contre notre jeunesse, notre avenir, contre l’Europe et contre tout le monde.

Tout comme le trafic d’armes

Le trafic de drogue est beaucoup plus dangereux, parce que la drogue rapporte d’énormes fonds qui permettent d’acheter beaucoup d’armes et de complicités. C’est un trafic extrêmement juteux.

Est-ce que la porosité de la frontière peut-elle s’expliquer par cette complicité achetée ?

La responsabilité est commune. Je pense que pendant très longtemps, certains éléments de la rébellion touareg ont beaucoup combattu pour pouvoir marquer cet état de fait qu’est la revendication politique. Elle a été analysée et acceptée dans le cadre d’un accord que nous avons signé et mis en application. Mais certains ont continué. Leur revendication était quoi ? Ils nous demandent de quitter Tinzaouatine qui est un point de passage obligé de la limite territoriale. Il faut se poser la question pourquoi cette revendication. Je ne dirais pas plus, mais seulement il faut savoir qu’il y avait parmi les rebelles quelques éléments déterminants.

Pensez-vous que les revendications politiques cachaient en fait leur complicité avec les salafistes ?

Certaines de leurs revendications étaient justes. Raison pour laquelle, nous les avons acceptées. Comprenons-nous, certains qui ont plus de 50 ans, 60 ans et 70 ans, munis d’un armement et des véhicules tout-terrains, renouvelés constamment, tiennent deux ans et trois ans contre une armée. Ils parcourent des milliers de kilomètres, changent les pneus, s’approvisionnent en carburant. Comment est-ce possible ? C’est pour vous dire que quelque part, il y a une nébuleuse qui sert et qui soutient ces groupes avec des moyens financiers…

ça peut être des États ?

Je ne le pense pas. Je suis même convaincu que les Etats ne sont pas impliqués. Ces activités sont toutes dirigées contre les Etats. Il faut quand même préciser qu’au plan politique, les Etats nous ont beaucoup aidés. Nous avons une relation exceptionnelle avec l’Algérie, le Niger et les autres pays frontaliers. Personne ne pourra me faire croire que les Etats ont eu un rôle à jouer. Ce ne sont pas eux qui vendent la cigarette et les armes ou qui font le trafic de drogue et d’armes et vous ne pouvez pas imaginer les tonnes d’armes, de drogue et de cigarettes que nous avons interceptées dans le Nord et à proximité de certains pays frontaliers. Le désert est tellement grand, et lorsque nous avons autant d’argent nous pouvons acheter autant de complicités. Je ne peux faire ce raccourci et accuser les Etats, les armées et nos services de sécurité de complicité. Je ne dirais pas aussi que tout le monde est honnête, mais je suis convaincu qu’il y a une volonté chez les pouvoirs politiques et aussi chez les opérationnels pour combattre ces menaces qui déstabilisent notre région.

Après le sommet des chefs d’État de la région prévu à Bamako, que compte faire concrètement le Mali pour lutter contre le terrorisme ?

Le Mali fait toujours face aux menaces. Nous les combattons quotidiennement. Les quantités d’armes, de munitions et de drogue que nous interceptons régulièrement sont la preuve de nos engagements sur le terrain. Les bandes frontalières du Mali sont immenses au nord : 1200 km de frontière avec l’Algérie, 2000 km avec la Mauritanie et 900 km avec le Niger. Est-ce facile de maîtriser tous ces espaces avec le peu de moyens que nous avons ? Raison pour laquelle, je dis que la solution ne peut être que collective.

A travers le sommet auquel vous avez appelé, vous voulez impliquer politiquement et matériellement les États de la région dans une lutte commune contre ces menaces...

Je crois qu’il est nécessaire que nous partagions une vision, un plan d’action, une volonté politique participative au lieu d’accuser l’autre de ce qu’il a fait ou n’a pas pu faire. Autant nous mettre ensemble pour décider de ce qu’il faut faire ou ne pas faire. Aucun pays seul ne pourra trouver la réponse à cette situation. La solution ne peut être que transfrontalière.

*Lire la suite de notre interview avec Son Excellence le président du Mali dans notre édition de demain

Par Salima Tlemçani
Source:
http://www.elwatan.com/Nous-refusons-de-jouer-le-role-de

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