vendredi 27 mars 2009

Interview]M. Nicolas Sarkozy, Président de la République française: " Votre pays est pour nous un partenaire stratégique dans la durée ",


Ecrit par Réalisée par Saïdou Daoura (Sahel Dimanche du 27 mars 2009),

Excellence M. le Président, vous entamez à partir du vendredi 27 mars 2009, une visite officielle et de travail au Niger. Quelle signification donnezvous à cette visite ?

Ma visite à Niamey vise à marquer toute l'importance que j'accorde à la relation entre la France et le Niger. Votre pays est pour nous un partenaire stratégique dans la durée. C'est de ce partenariat que je viens discuter avec le Président Tandja. J'ai déjà eu l'occasion d'avoir des entretiens téléphoniques avec le Président Tandja, mais rien ne remplace les contacts directs. Bien sûr, de telles relations reposent également sur un maillage d'échanges et de rencontres, comme c'est le cas entre le Niger et la France. Je note d'ailleurs, pour m'en réjouir, que ces échanges sont de plus en plus nombreux et de plus en plus diversifiés: milieu des affaires, élus, universitaires, chercheurs, responsables d'associations, journalistes, etc. De nos jours, les relations entre les deux pays ne se réduisent pas à des relations entre deux Etats, même si ces dernières sont essentielles. Plusieurs des ministres, des parlementaires et des chefs d'entreprises qui m'accompagnent dans ce déplacement sont déjà venus au Niger ou ont des contacts réguliers avec leurs homologues nigériens.

Ce voyage offre l'occasion d'illustrer et de renforcer la densité et la pluralité des échanges. Au Niger, la France a des intérêts, elle les assume et elle les promeut, en toute transparence. Mais, en l'occurrence, nos intérêts se rejoignent, comme l'illustre l'accord si important qui vient d'être signé, le 5 janvier dernier, entre l'Etat du Niger et AREVA. Par ailleurs, nos deux pays ont un intérêt commun à la stabilité, qui repose sur une combinaison de paix, de développement et de démocratie.

La sécurité dans l'espace sahélo-saharien correspond aussi à une préoccupation croissante, qui vaut pour les pays de la région, mais aussi pour les pays partenaires comme le nôtre. Le Niger représente pour la France un partenaire de coeur et de raison, avec lequel la France construit un partenariat stratégique rénové. Comme de telles évolutions ne sauraient se concevoir sans la chaleur des relations humaines, j'ai tenu à établir ce contact personnel et à inviter ceux qui m'accompagnent à poursuivre dans ce sens, au-delà de tout le réseau d'échanges qui est déjà à l'oeuvre dans la relation entre nos deux pays. Ma visite représente donc à la fois un acte de reconnaissance, un signe d'espoir et une invitation à l'action..

La France et le Niger entretiennent des relations d'amitié et de coopération très fructueuses depuis de longues dates. Peut-on savoir, aujourd'hui, si la France, 1er partenaire bilatéral du Niger, garde la même considération pour ce pays ?

Comme vous le rappelez justement, le Niger et la France entretiennent depuis longtemps des relations d'amitié et de coopération, j'ajouterai et de confiance et de respect. Cette qualité de relation s'est marquée à travers des actes, et notamment à travers nos engagements venus accompagner les efforts considérables déployés par le Niger en matière de démocratie, mais aussi de développement, car la démocratie et le développement sont étroitement liés. Les sentiments qui m'animent à l'égard de votre pays sont fondés sur la considération et le respect que l'on doit à un pays ami, à son premier responsable et à toutes les populations.

Il n'y a pas de "petit pays" aujourd'hui et, en tout état de cause, ce ne saurait être le cas d'un pays deux fois plus vaste que la France, riche de ses diversités dans une position de carrefour du continent, traversé par des routes millénaires, riche de ses ressources naturelles, celles du sous-sol et son fleuve, riche d'une population jeune et en croissance. Mon voyage dans votre pays, qui correspond à une promesse tenue, illustre, s'il en était besoin, le souhait que j'ai d'honorer les partenaires et amis de la France, qui partagent avec nous les valeurs de paix, de développement, de stabilité et de démocratie et qui en sont les promoteurs à la fois chez eux et sur la scène internationale.

Un tel voyage est aussi l'occasion de tirer parti de l'expérience et du savoir du Président Tandja, qui est un homme de grande expérience, et de prendre la mesure des évolutions en cours dans un pays exposé aux contraintes de la nature, de surcroît dans un environnement géostratégique à risques. Pour moi, la "considération" est une forme de reconnaissance, de respect et de politesse dans l'action..

Excellence, quelle est votre appréciation sur l'évolution du Niger ces dernières années ?

Le Niger, depuis son indépendance, a traversé bien des expériences en matière politique. Il en est à sa cinquième République, comme la France, mais en beaucoup moins de temps. Il a connu des épreuves qui l'ont marqué, mais aussi renforcé puisqu'elles l'ont amené à faire des choix délibérés qui sont pour nous fondamentaux comme la démocratie ou le renforcement de l'Etat de droit. Je dois dire que le Chef de l'Etat, le Président Tandja, a beaucoup donné de lui même pour redonner aux institutions de l'Etat, affaiblies par de longues périodes d'instabilité, tout leur poids et toute leur crédibilité.

C'est lui qui a redonné à la démocratie ses lettres de noblesse dans le pays. Les élections, en 1999 et en 2004, y ont eu lieu dans la transparence et sans contestation. Une alliance de partis a permis de former des gouvernements et a apporté 10 années de stabilité et de confiance retrouvées. Les droits de l'opposition sont reconnus, la société civile prend son essor et s'exprime, les associations de droits de l'Homme trouvent peu à peu leur place et les média sont très actifs dans toute leur diversité.

La concertation existe entre les forces politiques, notamment au sein du Conseil National de Dialogue Politique que je tiens à venir saluer durant mon séjour à Niamey : il a un rôle et tient une place singulière qui me paraissent mériter l'intérêt et il est véritablement opérationnel puisque ses travaux, qui désamorcent les conflits, aboutissent à des prises de décisions importantes par consensus. Je saluerai également les efforts du Niger afin de souscrire à l'Initiative pour la Transparence des Industries Extractives.

Il s'agit là d'un choix et aussi de mesures qui vont dans le sens de la bonne gouvernance que nous soutenons au niveau international. Le Niger se développe, des permis de recherche et d'exploitation sont accordés, des investissements importants sont programmés. Le rétablissement de la pleine sécurité dans le nord, que nous appelons de nos voeux, permettra davantage de prospections et de ressources pour toutes les populations de ce pays. Il est essentiel que ce secteur, qui est appelé à jouer un rôle vital pour le Niger, soit bien balisé et que les richesses du pays bénéficient d'abord aux populations. Il est important que les règles du jeu économique soient connues, suivies et respectées par tous.

Excellence, le monde vit actuellement une des pires crises financières de notre époque. Les pays riches ont pris des mesures draconiennes pour y faire face, mais on a l'impression que les pays pauvres sont ignorés dans les plans de sauvetage…

Cette impression est trompeuse car les pays pauvres ne sont pas ignorés dans les réponses à la crise. Nous sommes très attentifs à la situation de pays pauvres et particulièrement aux demandes de nos partenaires africains. Au sein du G20, la France fait partie des principaux défenseurs des intérêts des pays les plus pauvres. Après avoir plaidé, avec succès, pour que la Commission de l'UA soit invitée au sommet de Londres, la France a notamment organisé une réunion de concertation avec les plus hautes autorités financières et économiques de la Zone franc le 23 février à Paris.

Les participants ont appelé les institutions financières internationales à accroître leurs moyens en faveur de l'Afrique en augmentant les ressources disponibles pour fournir une assistance financière aux pays membres et en adaptant leurs instruments de prêt dans le sens d'une plus grande flexibilité et d'une meilleure prise en compte des spécificités des économies les plus fragiles. C'est la position que je défendrai au sein du G20 sous deux angles. Celui d'une forte augmentation des ressources du FMI et celui de la mobilisation accrue des moyens.

Les instruments de prêt du FMI doivent être adaptés pour mieux répondre aux besoins des pays pauvres. C'est pourquoi je plaiderai en faveur d'une augmentation d'accès à la facilité pour la réduction de la pauvreté et la croissance (FRPC). J'entends également plaider pour l'assouplissement et l'accélération des décaissements de la Banque mondiale et des banques multilatérales de développement. Les besoins identifiés concernent notamment les aides budgétaires, l'aide aux investissements en matière d'infrastructures.

Je tiens à souligner que l'augmentation des ressources du FMI et la mobilisation accrue des moyens des banques de développement représenteront au total un effort nettement supérieur au 0,7% du total des plans de relance réclamés par certains. L'Afrique ne doit pas être la victime des fautes et des impasses du capitalisme des pays développés. Répondre avec l'Afrique aux défis de la crise économique n'est pas seulement une question de solidarité ou de justice. Elle est aussi pleinement une question d'intérêts communs.

Croire que l'on peut résoudre la crise actuelle sans s'occuper de la situation des pays africains ne relèverait pas seulement d'une aberration morale, mais aussi d'une dangereuse illusion : le maintien de notre prospérité ne peut se nourrir d'un nouvel approfondissement des inégalités. Par ailleurs, l'Afrique connaîtra sans doute une croissance de l'ordre de 3 à 4% cette année. Aussi modeste soit cette dernière au regard des performances passées et surtout de la croissance démographique toujours forte, elle représentera, avec celle de l'Asie, la seule croissance positive en 2009. Il importe pour nous tous que ce moteur de croissance mondiale reste allumé. L'Afrique peut contribuer au redémarrage global de l'économie mondiale.

Quel est le message de la France à l'endroit du Niger, et au-delà, à tous les peuples qui croient aux valeurs universelles des droits de l'Homme ?

Mon message est double. Je tiens tout d'abord à réaffirmer très clairement l'attachement de la France et mon attachement personnel à l'universalité des droits de l'Homme. Cela semble peut-être évident, mais il est important de le faire face à la permanence d'un discours consistant à atténuer la portée des droits de l'Homme au nom d'un relativisme culturel. On oppose ainsi l'individualisme supposé des Occidentaux à une solidarité communautaire ou à des valeurs collectives afin de réduire la portée des droits reconnus à chaque individu.

Je conviens évidemment qu'il existe dans le monde une très grande diversité culturelle à la défense de laquelle la France est attachée, mais elle ne saurait diminuer l'aspiration profonde de tout être humain à la même dignité, à la liberté et à la possibilité d'exprimer individuellement son opinion. Je souhaite ensuite souligner que la défense et la promotion de ces droits est nécessairement collective. Aucun pays ne peut prétendre les défendre seul. Ce serait présomptueux et inefficace. Nous devons agir collectivement dans les enceintes internationales pour préserver l'universalité de ces droits.

La France a besoin du Niger pour y parvenir et le Niger a besoin de la France. Je considère d'ailleurs que le Niger a déjà apporté une importante contribution à travers notre communauté de langue et de valeurs qu'est la francophonie, qui a vu le jour au Niger en 1970 avec la création de l'Agence de Coopération Culturelle et Technique, à l'initiative d'un illustre nigérien.

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