mardi 10 février 2009

Mali-Touaregs : Quand l’hypocrisie de l’Etat hypothèque l’avenir du pays.


Abdoulahi ATTAYOUB

Mali-Touaregs : Quand l’hypocrisie de l’Etat hypothèque l’avenir du pays. !
La conscience touarègue restera plus forte, et la marche de l’Histoire lui donne déjà raison.

mardi 10 février 2009, par temoust

La conscience touarègue restera plus forte, et la marche de l’Histoire lui donne déjà raison.

Les graves événements qui se déroulent dans le Nord du Mali aujourd’hui interpellent à plus d’un titre. Les manœuvres actuelles du gouvernement malien pour détruire les Communautés maure et touarègue en les opposant relèvent d’une stratégie déjà éprouvée par le passé.

Déjà au début des années 90

Dans les années 90, l’État malien, faute d’avoir réussi sur le terrain militaire avait créé la Milice Gandakoye pour faire diversion et chercher à dénaturer le conflit qui l’opposait aux Mouvements de l’Azawad. Cette diversion avait pour objectif de présenter cette question comme un conflit inter ethnique et dégager ainsi la responsabilité politique et pénale des dirigeants de l’État. Cette manœuvre a été facilitée par certains cadres Touaregs dont la jugeote politique n’a, à l’évidence, pas été à la hauteur des espoirs qui avaient été placés en eux.

L’État malien et ses dirigeants ont pu ainsi échapper à la justice internationale grâce à la bienveillance de certains pays qui ont préféré fermer les yeux en espérant étouffer la question et empêcher son internationalisation. Pour mémoire, et surtout pour ceux qui n’auraient pas bien suivi les événements de cette époque, il faut rappeler que l’armée malienne avait, selon les estimations, massacré plusieurs milliers de civils Touaregs et Maures dans les trois régions de Gao, Tombouctou et Kidal. Ces massacres, dans leur ampleur et les méthodes utilisées, ont montré que les gouvernants maliens ne combattaient pas une rébellion mais cherchaient à affaiblir ces Communautés qui étaient visées en tant que telles. Déjà à l’époque, certains leaders touaregs avaient prêté main forte aux autorités de Bamako contre leurs frères. Aujourd’hui nous pouvons affirmer qu’ils avaient eu tort de croire que les dirigeants maliens les différenciaient de ceux qui étaient présentés, alors, comme les ennemis.

A l’époque, déjà, l’association Survie Touarègue-Temoust avait dénoncé la naïveté politique de ces leaders qui devenaient, de fait, des valets d’un système politique malien dont certains responsables et la presse appelaient ouvertement à l’extermination des Touaregs, sans distinction de tribus ou des Régions. Pour ceux que cela intéresse, une importante documentation existe sur cette période encore trop proche pour n’appartenir qu’à l’Histoire.

L’impunité incite à la récidive

En effet, il suffit d’une rapide analyse de la situation actuelle, pour comprendre que l’objectif visé est d’affaiblir le mouvement touareg en jouant sur les faiblesses connues de certains leaders incapables de sortir de leurs schémas archaïques qui aveuglent leur action politique. Le Mali ne montre aucune volonté de considérer la communauté touarègue comme une communauté susceptible de participer de manière équitable à la gestion des affaires de l’État. En effet, les tenants du pouvoir gèrent celui-ci toujours en confondant les intérêts de leurs propres communautés avec ce qui devrait être ceux de l’État malien dans sa diversité.

Ces gouvernants cherchent encore à opposer les Touaregs entre eux en faisant croire à certains qu’il existe une République malienne digne d’être défendue par tous ses fils. Mais l’État malien dans son fonctionnement aujourd’hui ne remplit pas les conditions nécessaires pour que l’ensemble de ses citoyens puissent le défendre sans donner l’impression de participer à leur auto-destruction. En instituant l’impunité comme règle de base dans sa gestion de la question du Nord, le Mali se discrédite et perd toute légitimité en indexant ses opposants dans leurs luttes pour le changement.

Aucun Touareg sérieux, et soucieux de l’avenir de sa communauté et du Mali ne peut se satisfaire de la manière dont l’État a toujours traité cette question. Avec un minimum de lucidité et de sincérité, on ne peut pas traiter Ibrahim Ag Bahanga de bandit ou d’ennemi du Mali, tant que ATT n’est pas traduit devant un tribunal pénal international et condamné pour les crimes commis sous sa responsabilité. Les défenseurs du système politique malien actuel devraient recouvrer leurs esprits, car, en refusant le débat sur le fond de la question du Nord, ils perpétuent l’hégémonie de certaines communautés sur d’autres et, par là-même, menacent la stabilité du pays. En effet, les Touaregs et les Maures aspirent aux mêmes droits que les Bambaras, les Peuls…

La communauté internationale ne peut éternellement fermer les yeux sur le déni de justice qui est fait à la communauté touarègue du Mali. Les criminels, politiques et militaires, répondront un jour de leurs forfaits devant une juridiction internationale. Les tenants de l’ordre mondial savent que la stabilité de la région et l’avènement de la Démocratie passent forcement par la prise en compte des intérêts et des droits de l’ensemble des peuples en présence.

En effet, le gouvernement malien fort de cette impunité, utilise les mêmes méthodes en créant des milices supplétives de l’armée dont le rôle est de commettre les pires exactions contre les populations civiles touarègues. Le fait que ces milices recrutent parmi les Touaregs ne constitue aucunement un alibi et n’enlève rien à la responsabilité politique et pénale des acteurs et commanditaires de ces crimes.

Le jour où le Mali jugera les criminels responsables des massacres des année 60 et 90 et où les Touaregs seront réellement des citoyens maliens respectés dans leur identité et dans leurs droits fondamentaux, alors des Touaregs seront légitimés à défendre leur pays. Aujourd’hui, le Mali ne respecte pas sa communauté touarègue. Les cadres touaregs qui sont terrorisés à l’idée d’être soupçonnés de sympathie pour leur peuple en viennent à soutenir la diabolisation de ceux qui essaient de dénoncer les injustices indiscutables qu’ils subissent. Ces cadres sont plus installés dans le fatalisme et le désespoir que dans la réelle conviction qu’ils sont maliens comme les autres !!! Il suffit de constater leur silence et leur absence d’initiative pour contribuer à la résolution d’une question dont ils ne peuvent pas nier l’ampleur et la dimension ethnique.

Les veuves, les orphelins et tous ceux qui ont été endeuillés par les actions de l’État malien ne pourront jamais avoir confiance dans cet État tant que la vérité n’a pas éclatée et les victimes réhabilitées. La construction d’un État de droit passe par cette vérité et cette justice. Plus on tarde à l’accepter plus on hypothèque la possibilité de voir rapidement la paix nécessaire au développement du pays s’installer. Car la paix ne se décrète pas et ne s’impose pas durablement par la force. Elle s’installe par l’effet conjugué d’une justice impartiale et d’un État capable d’assumer pleinement les missions qui sont sa raison d’être.

En s’auto-amnistiant, les criminels des années 90 n’ont fait qu’aggraver l’injustice et éloigner davantage les perspectives d’une réconciliation entre les Touaregs et l’Etat. La fracture ainsi entretenue empêchera toujours l’avènement d’une paix durable et donc l’amorce d’une véritable vie démocratique.

Instrumentaliser l’idée de Démocratie pour empêcher le débat

Aucune phraséologie sur la Démocratie ne peut tromper sur la nature réelle du système politique malien, Car avant de se poser la question de la Démocratie, il faut d’abord résoudre celle du projet national et de la volonté des différentes communautés maliennes à construire, dans leur diversité, un État dans lequel elles pourront toutes se reconnaître. Aujourd’hui, on en est très loin. Tant que les élites ne sont pas sorties de l’hypocrisie actuelle, rien de durable ne pourra être construit. Trop de Maliens, y compris parmi la classe politique, n’acceptent pas les Touaregs comme des concitoyens ordinaires. Et ce sentiment est entretenu par la politique de l’État qui voit cette communauté uniquement comme une menace perpétuelle. Comme si certains Maliens ont du mal à croire en l’unité de leur pays et en leur capacité à le construire ensemble. Comment expliquer autrement l’alignement systématique de toute la classe politique malienne sur les méthodes du gouvernement même quand celui-ci monte les communautés les unes contres les autres et envoie son armée et ses milices massacrer des populations civiles. Ni les patriotes, ni les démocrates maliens n’arrivent à dépasser leur propre ethnocentrisme et à considérer les Touaregs comme ils auraient voulu que leurs propres communautés soient considérées.

L’État malien a montré son incapacité à imaginer des solutions politiques sérieuses pour régler définitivement le conflit qui l’oppose à la communauté touarègue. Mais a-t–il seulement la volonté de le faire ? Ceux qui estiment que les rébellions n’ont aucune raison d’être n’ont, à ma connaissance, rien proposé pour régler les problèmes qui sont posés. Attiser la haine entre les communautés et utiliser les moyens de l’État contre ses propres citoyens, à cause de leur appartenance ethnique, constituent des forfaits qui vont à l’encontre des intérêts d’un Mali unique et démocratique.

Le Pacte national et les accords d’Alger auraient pu servir de base à une large réconciliation entre l’État malien et sa communauté touarègue. Mais ces différents accords n’ont, à l’évidence, jamais été pris au sérieux par les autorités maliennes. Pour elles, le seul objectif a toujours été de désarmer les combattants touaregs. Or dans ce genre de conflit le désarmement, s’il devait se faire, n’intervient que quand les raisons du conflit ont disparu ou que la confiance est suffisamment revenue pour garantir l’application de ce qui a fait l’objet d’accords.

Que les dirigeants maliens ne s’y trompent pas. La lutte du peuple Touareg pour ses droits et ses intérêts ne dépend pas d’une personne ou d’un groupe d’individus. Le désarmement d’un groupe ou son « intégration » n’empêcheront jamais la poursuite de cette lutte tant que les injustices actuelles perdurent. S’il y a une chose qui fait l’unanimité, c’est bien la conscience qu’ont tous les Touaregs de cette injustice et de leur détermination à la combattre par les moyens qui s’imposent à eux.

Le contexte géopolitique a évolué

Le contexte géopolitique actuel dans la région sahélo-saharienne fait que les choses sont susceptibles d’évoluer plus rapidement qu’on ne pourrait l’imaginer. Ce qui paraissait impensable hier deviendra possible demain. Les enjeux en présence font que rien n’est immuable, et que seuls les intérêts de ceux qui décident commandent l’évolution des choses. Les petites manipulations d’ATT et sa gestion ethnique d’une question qui intéresse de plus en plus de monde risquent finalement de se retourner contre lui et de profiter à ceux qu’il traite aujourd’hui comme des ennemis. Les acteurs intéressés par cette région du monde commencent à reconnaître le rôle déterminant des Touaregs pour en assurer la sécurité et la stabilité.

Les rivalités et les rancœurs sont compréhensibles, les divisions sont injustifiables au regard de la situation actuelle et des enjeux auxquels fait face le peuple touareg

Les responsables touaregs qui sont tentés par les démons de la division font preuve de naïveté et manquent manifestement de discernement sur la réalité de leur pays et des affaires du monde. Autrement, ils auraient compris qu’ils renforcent les ennemis de leur peuple. C’est-à-dire ceux qui ne veulent pas des Touaregs comme citoyens et qui continuent à perpétuer la domination de certaines communautés sur d’autres.

Les officiers et responsables politiques touaregs qui sont encore dominés par des sentiments compréhensibles liés aux vicissitudes du passé doivent se ressaisir et garder leur lucidité sur la marche politique de l’Histoire. Nous avons vu par le passé que, quand l’État s’en prend aux Touaregs, il ne fait jamais la différence entre les tribus. Les auxiliaires du système ont souvent connu le même sort que ceux qui sont taxés d’ennemis par les tenants du pouvoir. L’Histoire récente est riche d’enseignements en la matière.

Dans l’Histoire des peuples, ceux qui jouent contre leurs « groupes naturels » finissent toujours par être marginalisés, voire éliminés, y compris par ceux qui les ont utilisés. Le manipulateur a rarement de la considération pour celui qui se prête à ce jeu !!! Aucun fondement juridique ou politique ne justifie que des Touaregs acceptent de combattre leurs frères pour préserver un système qui les a toujours marginalisés et massacrés sans discernement !!!

En envoyant des Touaregs combattre d’autres Touaregs, le Mali reconnaît son incapacité à sécuriser et administrer l’Azawad. Il appartiendra demain aux Touaregs qui se combattent aujourd’hui d’élaborer ensemble la stratégie de survie qui leur permettra d’être identifiés comme des acteurs crédibles et capables d’assumer de manière libre leurs responsabilités historiques envers leur peuple.

Pour rappel : l’État malien a massacré au cours des années 90 plus de 10 000 Touaregs et Maures sur le million que compte le pays. C’est comme s’il massacrait 100 000 Maliens toutes ethnies confondues. Ou que l’État français massacrait 600 000 de ses citoyens !!!!!

Février 2009

Abdoulahi ATTAYOUB Temoust Lyon (France)

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