mardi 30 décembre 2008

Un autre regard sur la rébellion touarègue au Niger



Incarnée par le Mouvement des Nigériens pour la justice (MNJ), la rébellion touarègue refait surface après quelques années de retour au calme. Le Niger, pays souvent désigné comme étant le plus pauvre du monde, est depuis lors le théâtre d’une escalade permanente du conflit entre les forces armées nigériennes (FAN) et le MNJ. De nombreux facteurs, tant historiques que sociaux ou économiques, peuvent expliquer à la fois la résurgence de la rébellion touarègue et son caractère spécifique et inclassable.

Les touaregs sont une ethnie distincte d’environ un million et demi d’individus, répartie dans cinq différents pays (Mali, Niger, Algérie et, dans une moindre mesure, Libye et Burkina Faso). En raison de leur nomadisme et de leur infériorité numérique dans tous les pays dans lesquels ils sont établis ou se déplacent, les « hommes bleus » ont subi une marginalisation économique et politique récurrente depuis des décennies. Ce rejet a déjà débouché sur une première rébellion touarègue à la fin des années 1980. Le point culminant de cette insurrection se déroulera entre 1991, date du début de la première lutte armée symbolisée par différents mouvements de rébellion, et le 24 avril 1995, date de la signature d’accords de paix qui devait avoir clos le chapitre.

C’est avant tout le non-respect des clauses de ces accords qui est en question. « La résurgence du conflit armé dans le nord du Niger est l’expression de l’échec de la gestion des accords de paix de 1995, dans ses aspects militaires, économiques, sociaux et politiques » (1), selon les conclusions d’une réunion initiée à Niamey par l’Association nigérienne de défense des droits de l’homme (ANDDH), la plus importante ONG du Niger. Au nombre de ces « défaillances », figure le retard dans la réinsertion socio-économique des ex-rebelles, qui n’a démarré que dix ans après les accords, et les promesses non tenues des sociétés minières locales de recruter des cadres au sein des ex-fronts touaregs. Les autres sources de frustrations recensées proviennent de la mauvaise gestion des carrières des ex-rebelles intégrés dans l’administration publique, ainsi que de la méfiance vis-à-vis de ceux qui ont été incorporés dans l’armée d’où certains ont été « révoqués pour des fautes mineures ». En lisant entre les lignes, on perçoit une ségrégation latente envers les touaregs, qui se traduit dans d’autres domaines, notamment dans l’accès au marché du travail pour les touaregs sédentarisés. Quant aux programmes de développement, dont les fonds sont majoritairement issus de l’aide internationale, ils se concentrent très majoritairement au sud du pays. Le gouvernement nigérien donne rarement son aval pour la construction de puits ou d’hôpitaux dans la zone touareg, où la vie quotidienne, couplée aux conséquences déjà visibles du réchauffement climatique et de la désertification croissante de la région, est de plus en plus difficile.

Cette marginalisation qui touche les touaregs ne provient pas uniquement de leur mode de vie nomade, mais aussi en partie de leur organisation sociale. La fascination qu’exercent souvent les « hommes bleus » chez les Occidentaux occulte une réalité bien moins reluisante : l’esclavagisme. Henry Duveyrier, le premier explorateur à avoir étudié le comportement social des touaregs l’avait déjà observé dès la fin du XIXe siècle. Dans la hiérarchie touarègue, les membres d’origine noble (les « Imajaghan ») « possèdent » littéralement des esclaves, qui leur « appartiennent » au sens propre. Le châtiment est souvent la réponse à la désobéissance ou à la tentative de fuite. Bien que l’on observe un léger recul des cas d’esclavagisme chez les touaregs, notamment au contact de la sédentarisation, cette « fracture sociale » très ancienne est toujours fermement ancrée dans les esprits nigériens. Les touaregs sont encore et toujours perçus par la majorité des autres ethnies nigériennes comme les « maîtres ».

À ces facteurs se rajoutent un autre aspect sociologique : le rôle habituellement dévolu à l’homme dans le couple touareg. La famille touarègue tourne en effet autour d’un matriarcat (2) qui se traduit notamment dans leurs célèbres tenues vestimentaires. Alors que les femmes sont ornées de leurs plus beaux atours et laissent paraître ouvertement leur beauté, chose rare dans les sociétés musulmanes, les hommes sont eux couverts de la tête au pied, ne laissant apparaître que leurs yeux. Face à cette emprise féminine au sein du couple, les hommes se sont rabattus sur le rôle du guerrier. Ce rôle social dévolu aux hommes chez les touaregs permet de mieux comprendre ce qui les pousse si « naturellement » à l’insurrection et à la guerre. Malgré cela, leur rébellion se distingue de toutes les autres par son humanisme et son code d’honneur. À l’instar des règles de chevalerie qui animèrent l’Occident pendant plusieurs siècles, ils disposent d’un code d’honneur assez similaire, qu’ils ne transgressent que très rarement, même en état de guerre. La bravoure n’a à leurs yeux d’égale que la loyauté et le respect de la parole donnée. Ces grands principes se sont à chaque fois traduits dans les faits. Jamais les civils n’ont été visés, le MNJ concentrant ses attaques uniquement sur les bâtiments militaires ou gouvernementaux. Les militaires qui ont été faits prisonniers ont été constamment bien traités, sans le moindre recours à la torture et au meurtre. Ces dernières semaines, le MNJ a plusieurs fois autorisé des corridors humanitaires (3) pour que la Croix-Rouge puisse intervenir. Enfin, le mouvement a encore récemment procédé à la libération de plusieurs soldats capturés en signe de leur attachement aux règles de la guerre et en conformité avec les droits humains (4).

Malgré ces évidences, le président nigérien Mamadou Tandja refuse de reconnaître la rébellion touarègue en l’assimilant en dépit du bon sens à des « bandits armés ». Pour mieux saisir l’inflexibilité présidentielle, il est nécessaire d’insister sur une autre particularité de la rébellion touarègue, qui la distingue de la grande majorité des autres présentes en Afrique : son aspect idéologique. Le site officiel du MNJ (5) confirme que le mouvement présente toute une panoplie de revendications politiques et sociales, détaillées dans son « Programme des revendications du MNJ » (6). Les principaux axes de ces revendications sont une meilleure insertion politico-économique de la région d’Agadez et une meilleure redistribution des richesses pour les couches sociales les plus défavorisées. Plus embêtant pour le pouvoir nigérien, le MNJ cible très précisément le président Tandja et les hauts gradés de l’armée, les accusant ni plus ni moins de détournements massifs et de corruption. Au-delà de ces affirmations invérifiées dont on laissera au MNJ la responsabilité, une autre pomme de discorde entre les deux protagonistes est, elle, avérée : l’assassinat du président Ibrahim Baré Mainassara en 1999 par un coup d’état militaire, dont les auteurs sont aujourd’hui au sommet du pouvoir. Le MNJ, qui réclame l’ouverture d’un procès équitable, tient au demeurant une position similaire à celle d’Amnesty International, qui dans un récent rapport a dénoncé le « sacre de l’impunité » au Niger (7).

Le fossé qui sépare les deux parties protagonistes s’explique également par le soutien logistique dont dispose les rebelles. Depuis les premiers accrochages, la rébellion a systématiquement mis en difficulté les FAN. Attaques éclairs, replis stratégiques organisés, raids : toutes les actions du MNJ ont été d’une redoutable efficacité. L’explication de cette réussite trouve en bonne partie sa source en Libye. Les touaregs qui fuirent le premier conflit trouvèrent refuge et soutien chez Mouammar Kadhafi. Outre la sympathie probable qu’il éprouve pour eux - rappelons que l’intéressé est d‘origine bédouine - le dirigeant libyen y a vu l’occasion de renforcer son influence régionale, en plus de pouvoir disposer d’un corps de soutien qui pourrait s’avérer très utile le jour de la transmission de pouvoir à sa descendance. Les réfugiés et dissidents touaregs ont été majoritairement formés dans des camps d’entraînement libyens. En plus de leur connaissance du terrain, les « sauvages du désert » savent désormais aussi utiliser les 4x4, les kalachnikovs et les roquettes. Face à cette force de frappe qui a conduit l’armée régulière à quelques déconvenues mémorables en juin (8), le président Tandja a choisi d’éviter l’affrontement direct, lui « préférant » les arrestations arbitraires de civils, dont certaines se sont soldées par des « disparitions ». Comme à l’accoutumée, c’est la population civile qui pâtit en premier d’un conflit.

Les touaregs du Niger craignent à raison pour leur avenir. Au climat actuel d’insécurité et à la difficulté de pérenniser leur mode de vie se rajoute la malchance d’être né sur des terres riches en matières premières (en l’occurrence l’uranium qu’exploite Areva dans la région d’Arlit). Ce destin n’est pas sans en rappeler d’autres. La lutte pacifique des Bushmen pour revenir sur leurs terres riches en diamants (9), les rébellions des Ijaws dans le delta du Niger riche en pétrole (10) et bien d’autres encore s’inscrivent plus globalement dans les difficultés qu’éprouvent les ethnies « originelles » à garder le contrôle de leurs terres ancestrales. Par sa vertu supposée dans la lutte contre le réchauffement climatique et sa place essentielle dans la course aux armements qui se poursuit, l’uranium est plus que jamais une denrée prisée qui suscite toutes les convoitises. Entre besoins énergétiques et maîtrise stratégique, la France, la Chine, la Libye et le pouvoir nigérien se disputent âprement le précieux minerai. Nul doute que face à ces puissants intérêts, ceux des touaregs risquent fort de ne pas faire le poids

(1). http://fr.allafrica.com/stories/200708310009.html (2) http://www.cbf.fr/article_leger.php3 ?id_article=804 (3) http://www.rfi.fr/francais/actu/articles/092/article_55189.asp (4) http://fr.allafrica.com/stories/200709190174.html (5) http://m-n-j.blogspot.com (6) http://m-n-j.blogspot.com/2007_04_15_archive.html (lire le post en milieu de page pour accéder au Programme du MNJ) (7) http://www.apanews.net/apa.php ?page=show_article&id_article=25241 (8) http://www.rfi.fr/francais/actu/articles/090/article_53181.asp (9) http://www.rfi.fr/actufr/articles/084/article_48171.asp (10) http://geopolis.over-blog.net/article-7064660-6.html
par Yves Rosenbaum

Aucun commentaire: