jeudi 30 octobre 2008

Sous Commandant Tango /discour du 18 èmè anniversaire de Tchingalene /Mont Gréboun


Bonsoir, compagnes et compagnons Mnjustes,

Je salue d’abord nos dirigeants, les amis démocrates et tous ceux épris de justice de part le monde.
Ici sont réunis des compagnes et des compagnons Mnjustes Autochtones:Peuls,Touaregs,Sonraïs,Haoussa,Toubous,Arabes et Djermas.
Ils sont venus de toutes les zones du Niger où flotte notre bannière au bouclier et aux armes de la justice le drapeau du MNJ.
Nous saluons également toutes les femmes et tous les hommes qui sont nos chefs des Comités révolutionnaire de par le monde.
Et je salue enfin nos autorités autonomes qui gouvernent sur ces terres rebelles et dignes, les terres de nos ancêtres et qui participent ici aujourd’hui à la Première Rencontre des peuples Autochtones épris de justice et de liberté comme tous les peuples du monde.
En ce jour, notre parole en tant qu’Mnjustes s’adresse tout particulièrement à vous.

Pour nos anciens et nos anciennes, nos femmes et nos hommes, nos enfants, filles et garçons.

Notre parole s’adresse à nous qui sommes le coeur de notre mouvement le Gardien de nos peuples.
La plupart des nigeriens qui sont ici ont pris les armes contre le mauvais gouvernement, l'an 1990, et depuis continuent en rébellion et poursuivent leur lutte pour la reconnaissance des droits et de la culture des peuples autochtones que nous sommes.
D’autres, femmes et hommes, ont rejoint notre lutte tout au long de ces dix huit ans de guerre contre l’oubli.
Certaines et certains n’étaient encore que des enfants quand notre combat a commencé.
Mais ils ont grandi dans la résistance et dans la dignité que nous enseignent nos aînés.
Notre histoire, celle de notre mouvement ne se limite pas à ce qui a surgi comme l’éclair à l’aube du mois de février 2007, il y a deux ans.

Elle ne se limite pas non plus à ce qu’ont tenté de rapporter nos paroles dans les communiqués, les lettres et les interviews qui ont été rendus publics au long de ces années de résistance.
L’histoire de notre mouvement se limite encore moins à ce que l’on en perçoit dans de grandes cérémonies où, comme c’est le cas aujourd’hui, de bonnes personnes de l'Afrique et du monde entier tendent l’oreille et affûtent le regard pour nous voir et nous écouter avec le cœur.
Voir et écouter avec le cœur, c’est précisément, comme le disait notre défunt commandant Sherif, la meilleure façon de regarder et d’écouter ce qui existe et qui existera au long de notre chemin.
Notre histoire ne peut pas être contée par petits bouts, avec ce que chacun met ou supprime de son histoire personnelle.

C’est une histoire collective.

Une histoire où le "je" n’a pas sa place.
Une histoire où nous parlons, nous écoutons, nous regardons et nous ressentons en tant que collectif.
Nous tous toutes et nous tous, les Mnjustes, nous ne sommes pas à votre service pour exister individuellement.

C’est pour cela qu’il y en a qui ne reste qu’un moment, sans plus, et puis qui s’en vont ou qui ne font que jeter un œil sans entrer vraiment.
Car la parole qui nous a fait et nous fait être ce que nous sommes et être où nous sommes est "nous".

Et ça, peu nombreux sont ceux qui le comprennent.
Ils croient que quand parlent Mano ou Bakri ou Sherif ou Azawa ou Bahanga ou Iyad ou Touzougué ou Alambo, ce sont seulement eux qui parlent, en tant qu’individus.

Mais dans notre histoire, il n’y a pas place ni pour le "je", ni pour le "tu", ni pour le "il".

Il n’y a de place que pour le "nous".
Nous sommes un "nous", pour le meilleur et pour le pire.

Alors, l’histoire de notre mouvement est l’histoire de la manière dont nous avons essayé de croître, de nous faire grands dans la parole et dans la pensée de ce nous.

Et nous, MNJ, nous avons pris les armes pour cause qu’il n’est plus possible de supporter le vol, l’exploitation, le mépris et la répression dont nous étions victimes du seul fait d’être autochtones .

Pour le dire platement, on nous traitait pire que des bêtes.
Et on se moquait de nous à cause de notre peau brune,noire ,métissée, à cause de notre langue, à cause de notre façon de nous vêtir, à cause de notre culture.
Et parfois aussi la moquerie consistait à nous ignorer, à faire comme si on ne nous voyait pas, comme si nous n’étions que des choses ou de simples sacs qui vaguent comme des ombres de par le monde.
Autrement dit, quoi, ceux d’en haut, les puissants et leurs mauvais gouvernements, nous régalaient du mépris de l’oubli.
Et avec cet oubli, ils livraient contre nous une guerre d’extermination pour nous anéantir en tant que peuples autochtones.

Des milliers de petites filles et de petits garçons autochtones mouraient de maladies que l’on savait soigner avec une simple pilule, mais on ne nous regardait pas, nous comptions pour rien, même pas bons pour la mort.
Alors, nous avons conçu dans notre pensée qu’il n’était plus possible de supporter ça, que nous n’étions plus disposés à mourir comme des bêtes et nous avons dit et nous disons Yigdah !,Basta, ça suffit que ce pays qui s’appelle le Sahara ne nous prenne pas en compte.
On ne nous regardait que pour nous insulter, pour nous exploiter, pour nous dérober notre terre et notre culture, pour nous réprimer, pour nous frapper, pour nous violer, pour nous emprisonner et pour nous assassiner.

Alors le nous qu’est le MNJ a décidé qu’il y en avait assez, que YIGDAH! et nous avons pris les armes et nous nous sommes soulevés pour que l’on nous voie, pour que l’on nous prenne en compte, pour que l’on nous respecte.

C’est une histoire que l’on a parfois tendance à oublier.
On dirait que tout était toujours comme maintenant, que des gens venaient de partout nous offrir leur parole, leur écoute, leur cœur.
Mais non, il fut un temps où le nous que nous étions n’était ni regardé, ni écouté, ni pris en compte.
L’histoire du MNJ est l’histoire d’une dignité qui se fait collective.
La dignité que nous possédons en tant que peuple Saharien de l'Afrique.
Or la dignité est le respect de ce que nous sommes et de comment nous sommes, ainsi que le respect de ce que sont et de comment sont les autres femmes et les autres hommes.

Notre histoire en tant qu'MNJ est l’histoire d’une dignité qui lutte pour devenir toujours plus collective, pour faire un nous très grand.
Si grand que pourront y être tous les exploités, tous les dépossédés, tous les méprisés et tous les opprimés de l'Afrique et du monde.
Dans notre lutte, nous avons compris que nos exigences ne pouvaient aboutir si nous ne nous unissions pas à d’autres peuples du Niger ,de l'Afrique, si ne venaient pas nous accompagner d’autres personnes qui ne sont pas indigènes mais qui luttent aussi pour la liberté, la justice et la démocratie.
En cours de route, nous avons compris qu’il existait un responsable de ce que nous soyons méprisés, dépossédés, exploités et réprimés.

Ce responsable, le coupable, c’est un système qui s’appelle la marginalisation.
Dans la marginalisation, le monde se divise en deux, en ceux qui ont les choses et ceux qui n’ont rien, en possédants et en dépossédés, en exploiteurs et en exploités.

Et ces dépossédés et ces exploités par ce régime , ce n’est pas seulement nous, mais tous les peuples autochtones aussi, et des millions de personnes qui ne sont pas autochtones mais qui subissent aussi le joug du système d'exclusion.

Pour avoir en main cette pensée nous l’avons faite parole et nous lui avons donné le nom de Sixième Déclaration du maquis de Tamgak parce que c’est la sixième fois que nous expliquons le chemin que nous suivons.
Avec la Sixième Déclaration, nous essayons de former un grand chemin avec beaucoup d’autres personnes en Afrique et dans le monde.

Dans le monde, ce chemin que nous empruntons s’appelle "Taraït tan internationale".

Et au Nord Niger, ce chemin que nous empruntons s’appelle "l’Autre Campagne".

Elle s’appelle comme ça parce que les voies qu’elle emprunte sont très "autres", très différentes de celles des puissants et de leurs serviteurs, les partis politiques et les mauvais gouvernements d’en haut.

C’est un chemin qui veut regarder ceux que personne ne regarde, écouter ceux que personne n’écoute, prendre en compte ceux dont personne ne tient compte.

Au Niger, nous avons déjà effectué un premier pas et nous sommes allés partout dans ce pays pour rencontrer et écouter nos nouveaux compagnons et parler avec eux.

Obéissant aux ordres de nos dirigeantes et de nos dirigeants, j’ai été désigné pour emprunter le premier ce chemin, pour aller voir en somme notre pays qui est le Niger et savoir quelle manière, quel temps et quel lieu avaient ces nouvelles et ces nouveaux compagnons.
Obéissant à leurs ordres, j’ai porté l’oreille et le regard de toutes et de tous les Mnjustes.
J’ai emporté avec moi la parole de ce cœur collectif que sont les peuples autochtones.
Nous avons pu voir et écouter beaucoup de gens, de toutes sortes d’endroits et de manières différentes qui sont les leurs.

Des gens qui vivent et résistent et luttent dans les villes et dans les campagnes, dans les montagnes, dans les Lacs et dans le fleuve de notre pays le Niger.

Et parmi ces gens, il y a des personnes qui nous connaissent et qui nous respectent.

Il y a aussi des gens qui ne nous connaissent pas et ne nous voient pas.

Il y a des gens qui ne nous voient et ne nous connaissent qu’à travers leurs yeux, comme si nous étions semblables à un reflet dans un miroir.

Il y a des gens qui ne voient pas ce que nous sommes et où nous en sommes.

Quand ils écoutent notre parole et quand ils nous parlent, ils disent : "C’est une parole et une écoute comme les autres, ou un groupe de plus, comme tout autre individu ou groupe qui est dans la lutte, et sa parole et son écoute ont la même valeur que toute autre parole et que toute autre écoute."
Nous, nous n’avons rien dit, nous n’avons fait qu’écouter et en prendre note.
Il se peut que ces gens nous voient, nous écoutent et parlent avec nous en pensant que nous sommes que des individus ou des individues, que nous sommes des "je", des "tu", des "il".

Ils ne comprennent ni ne voient notre histoire, notre lutte, notre rébellion, notre nombre, nos décisions.

Ils ne comprennent ni ne voient que le MNJ, c’est un nous.

Mais sur ce long chemin nous avons rencontré d’autres peuples .

Eux, oui, ils nous voient et nous reconnaissent.

Ils voient et connaissent ce que nous sommes et où nous en sommes.

Ils savent que ce n’est pas la parole d’une seule personne qu’ils entendent de nos lèvres.

Ils savent que ce n’est pas un cœur individuel qui écoute, regarde et apprend.

Ils savent que c’est un "nous" la parole qui nous donne un nom, un visage, une oreille, une voix et un chemin.

Et pour nous, c’est pareil.

Quand nous avons rencontré les autres peuples autochtones, nous avons su et nous savons que nous ne parlions et n’écoutions pas.

Nous savons que nous voyons, que nous écoutons, que nous parlons et que nous apprenons avec des peuples tout entiers.

La pensée collective des peuples du Niger est très bien comprise par les autres peuples africains et du reste du monde.

C’est pourquoi quand nous avons rencontré des autochtones de l’ensemble du Niger, nous étions à notre aise, heureux, sachant que quelqu’un comprenait ce que veut notre cœur.

Ce que veut ce cœur collectif qu’est le MNJ c’est de faire devenir grand, très grand, le nous des oubliés, le nous des dépossédés, le nous des sans-voix et des sans-visage, le nous de la dignité rebelle, le nous de l’histoire d’en bas.

Ici, aujourd’hui, il y a des personnes qui viennent d’autres parties du monde et d’autres endroits du Niger.

La plus grande partie de ces personnes connaissent notre histoire.

Très peu de personnes savent que nous sommes des centaines de milliers de MNjustes et qu’il y a des milliers de communautés qui s’organisent, résistent et luttent.

Très peu de personnes savent ce qui s’est passé il y a Dix huit ans.

Et aujourd’hui, nous faisons exercice de mémoire, en évoquant nos compagnes et nos compagnons tombés au cours de cette lutte.

En évoquant le souvenir de ceux qui ne sont plus avec nous mais qui étaient là il y a dix huit ans, quand nous n’avions rien d’autre qu’une énorme rage et une énorme douleur à cause de l’injustice et de notre esclavage.

Nous voulons évoquer le commandant Khamo, Monsieur Wan Issik’, le Sub Tak et les insurgés de Tchinta qui périrent en combattant contre les forces d'opression au cours de ces dix huit ans de guerrilla.

Et aujourd’hui que notre chemin et ce nous que nous sommes sont plus grands dans le dénommé Autre Compagnon, évoquons ici notre jeune compagnon Ris.

En dix huit ans, jamais nous n’avons oublié nos prisonniers, nous avons toujours tout fait pour obtenir leur libération, et parfois nous mettons longtemps ou pas à les voir libres, mais nous nous battons pour leur liberté.

Aujourd’hui, nous sommes plus grands parce que nous traitons avec des organisations, des groupes, des collectifs, des familles et des personnes individuelles pour mener ensemble une lutte.

Et nous disons que c’est une lutte anti-exclusion et de gauche, parce que, tandis que certains veulent changer de gouvernement, nous, nous voulons changer notre pays et notre monde.

Dans cette lutte, certaines compagnes et certains compagnons sont prisonniers, nous ne les laisserons pas seuls, nous ne les oublierons pas.
Il y a des prisonniers politiques partout au Niger, des hommes et des femmes qui se battent pour la justice, la liberté et la démocratie pour nos peuples.
En tant que leurs compagnes et leurs compagnons que nous sommes, nous voulons que l’on sache que nous n’allons pas les oublier, que nous allons continuer à lutter pour leur liberté et pour que l’injustice qui les a jetés en prison soit réparée.

Au cours de notre premier circuit dans notre pays, nous avons trouvé que les personnes les plus décidées dans la lutte étaient partout les exclus.

Avec elles et eux, nous allons nous faire plus forts .

Nous avons aussi rencontré d’autres organisations politiques de gauche.

Certaines se sont contentées de venir voir si elles pouvaient tirer un quelconque bénéfice de l’Autre Campagne et sont reparties ou vont s’en aller ou nous allons les faire partir.

Mais il y a d’autres organisations honnêtes et conséquentes. Nous constatons de nombreuses différences entre leur manière et leur pensée et les nôtres, mais nous avons vu qu’elles se battaient avec détermination et qu’elles nous parlaient vrai.

Avec ces organisations, nous allons travailler de plus près pour apprendre plus de leurs histoires, de leurs luttes, de leurs manières, de leurs lieux et de leurs temps.

Dans notre parcours à travers le Niger d’en bas, nous avons aussi vu des endroits qui constituent des symboles de lutte et de résistance.

Obéissant aux ordres reçus, nous avons fait et nous ferons ce à quoi nous avons pensé pour faire savoir à chacune et à chacun ce que c’est que d’avoir pour compagnon le MNJ.


Le plus important, c’est que nous nous sommes rencontrés et que nous avons établi une relation respectueuse avec des peuples sur l’ensemble du Niger, et même avec certains dont le gouvernement de leur État ignorait l’existence.
Parmi eux, nous voudrions mentionner tout spécialement le peuple Peul, qui n’est pas respecté par les mauvais gouvernements et à qui on voudrait imposer une autorité sans tenir compte de la pensée et du sentiment de la communauté .

Compagnons

Aujourd’hui, nous évoquons notre histoire, nous nous rappelons qui nous sommes, où nous en sommes, comment nous voyons le Niger et le monde, ce que nous voulons faire et comment nous voulons le faire.

Nous nous rappelons qu’il y a dix huit ans, au petit matin, nous marchions comme nous avons l’habitude de marcher.

Nous étions seuls, nulle peur n’étreignait notre cœur et nous avons suivi notre chemin sans hésiter.

Il y a dix huit ans, là-haut sur les montagnes du Mt Gréboun ceux qui pensent qu’ils pensent nous ont jugés et condamnés, et aujourd’hui ils le font de nouveau.

Il y a dix huit ans, les mauvais gouvernements nous ont menacés de prison, nous ont promis de nous faire disparaître et de nous donner la mort, et aujourd’hui ils le font de nouveau.

Alors, en tant que Mnjustes que nous sommes, nous disons :

Si, il y a dix huit ans, quand nous étions seuls, nous ne nous sommes pas arrêtés, nous n’avons pas eu peur, nous ne nous sommes pas rendus.

Maintenant que nous avons de la compagnie sur notre route, dans notre marche et dans notre but, nous n’allons pas non plus nous arrêter.

Peu importe les menaces, les coups, les mensonges, l’oubli ou le mépris.

Nous n’avons pas peur de mourir en luttant.

Nous poursuivrons notre projet en ce qui concerne notre lutte conformément à notre plan.

Salut, compagnons Mnjustes

Joyeux anniversaire !

Des montagnes du Nord Est Nigerien.

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