mercredi 6 août 2008

Chronique d’un désert annoncé

Chronique d’un désert annoncé

par JA08, le 5 Août 2008 à 20:18


la plaine de l'Irhazer à Agadez, Niger

Un peu d'histoire
Depuis des millénaires les populations nomades du Néolithique fréquentaient l'immense plaine de l'Irhazer, à l'ouest de l'Aïr, où elles faisaient pâturer leurs animaux le long des parcours jalonnés de point d'eau. Après l'épopée libyco-berbère des Garamantes, ce sont les Touaregs, les Peulhs et plus tardivement les tribus arabes Kounta qui se déplacent dans cette immensité où ils trouvent et gèrent traditionnellement les ressources nécessaires à l'économie pastorale. Les puits et les sources qui captent l'aquifère des grès d'Agadez (Aman N'tedent, Dabla, Guélili...) servent de points d'abreuvement pour leurs troupeaux. Pour les animaux de l'ensemble du Niger, cette région est très importante. Chaque année, après l'hivernage, ils font des milliers de kilomètres, depuis le sud, pour venir brouter l'herbe nouvelle et boire l'eau chargée de natron. Ce régime alimentaire et cette transhumance structurelle sont tout à fait bénéfiques pour la santé de l'animal et son engraissement. Ce moment annuel d'échanges culturels et de fêtes dure deux à trois mois et rassemble les 2/3 du cheptel nigérien : c'est la cure salée.
Par ailleurs, la région contient un des plus beaux gisements de dinosaures au monde (les alentours d'In Gall, le Tim Mersoï...) qui fait maintenant la réputation du musée paléontologique de... Chicago... c'est surprenant ! Elle s'enrichit également d'une faune sauvage spécifique, de gisements néolithiques et de sites archéologiques importants qui devraient faire l'objet d'un classement en éco-musée au bénéfice du développement touristique et de l'Histoire en général, à l'instar du parc des Tassilis en Algérie.

Les contraintes du milieu
L'aquifère des grès d'Agadez, seule ressource en eau de la région, est fossile. Les datations au carbone 14 de ses eaux* révèlent que la dernière recharge s'est déroulée au cours du dernier humide néolithique il y a 3000 ans environ, à la fin de l'époque paléo-climatique du Nigéro-tchadien**. Depuis, le réservoir se vide inexorablement et d'autant plus rapidement que la ressource est de plus en plus fortement sollicitée par l'octroi anomique de concessions minières
Jusqu'alors, la ville d'Agadez pompait ses besoins dans la nappe contigüe de l'oued Téloua qui bon an mal an se rechargeait annuellement avec les pluies de mousson. Ce choix correspondait à une démarche éthique en hydrogéologie : n'utiliser les eaux fossiles qu'en dernière extrémité. Mais avec l'accroissement démographique (150 000 habitants) et surtout à cause du changement climatique, la ressource renouvelable est devenue insuffisante. Depuis 2006, la ville a été contrainte de déplacer son approvisionnement en eau de 35 km vers l'Ouest et de puiser 8000 m3 par jour dans l'aquifère des grés d'Agadez.

La surenchère du pillage
Sous l'ère du général/président Kountché, début 1970, se mettait en place un projet d'hydraulique pastorale dans la plaine de l'Irhazer : soit une vingtaine de forages dans la zone artésienne de l'aquifère. Mais des négligences, l'absence de suivi et d'entretien des infrastructures ont provoqué la ruine des équipements et la fuite annuelle de plus de 1,5 millions de m3 d'eau qui se perdent par évaporation.
Malheureusement, cette région regorge d'uranium et par la suite vinrent les projets miniers dont le comportement se résume à « prendre et partir ». De plus le pillage de la ressource minière (charbon et uranium) s'accompagne de celui de la ressource en eau au détriment du développement durable notamment touristique et pastoral, car la ressource n'est pas renouvelable.
Ce sont par exemple :
- 10.000 m3/j qui sont prélevés à Rharous, depuis 1980, pour les mines de charbon et la ville de Tchirozérine,
- 20.000 m3/j, prévus par la COGEMA, pour la nouvelle exploitation uranifère d'AREVA à Imouraren,
- 4000 m3/j pour la mine d'uranium d'Azelik qui est maintenant en début d'exploitation par une compagnie chinoise.


De plus, les sociétés COMINAK et SOMAÏR respectivement dans les villes d'Akokan et d'Arlit ont déjà épuisé 2/3 de l'aquifère carbonifère du Tarat, plus au nord, à raison de 22 000 m3/j depuis 38 ans.


Maintenant elles manquent de ressources en eau et elles envisagent d'utiliser un pipe line de 30 km et de déplacer
leurspompages vers l'ouest c'est-à-dire.... dans la nappe des grès d'Agadez !

Dernièrement, 17 permis de recherche ont été délivrés ( l'article date de plusieurs mois) par le ministère de l'Energie et des Mines de Niamey et ces nouvelles activités vont également contribuer aux ponctions irréversibles

Le pillage risque de s'accentuer. A la fin de la décennie 70, une étude du BDPA identifiait la possibilité d'irriguer 38 000 hectares dans la plaine de l'Irhazer. Ce nouveau pactole a excité les convoitises géopolitiques du guide suprême, M. Kadafi qui proposait récemment de financer la mise en valeur céréalière de la plaine à l'aide d'une quantité phénoménale d'eau naturellement puisée dans la nappe des grès d'Agadez. Mais ceci fait fi des facteurs pédologiques et climatiques propres à la région : les sols sont ici riches en natron (bicarbonate de sodium), l'eau est bicarbonatée sodique et de plus, l'évaporation est extrêmement forte. Tout ceci risque de déboucher sur une augmentation de la salinité des sols et de leur dégradation.

Une gestion surprenante
Pourtant, depuis longtemps il y avait lieu de s'inquiéter de l'avenir de la région. Dans son rapport de 1990 « Etude prévisionnelle d'exploitation de la nappe des grès d'Agadez par modèle mathématique », le projet NER/86/00 du PNUD et du ministère de l'Hydraulique et de l'Environnement du Niger, s'alarmait des conséquences irréversibles, sur la nappe, des prélèvements prévus sur le court et moyen terme (annexe 08 : carte 14).
Mais la gestion quantitative de l'eau n'est pas vraiment une préoccupation des sociétés et des autorités publiques du Niger. Dans une région où l'eau est rare, un comportement éthique consisterait à l'économiser pour les générations futures. Or, en instaurant la gratuité de l'eau pour les résidents des villes minières, les responsables miniers ont provoqué une surconsommation inutile et irresponsable. La gabegie est telle qu'un habitant prélève en moyenne 500 litres par jour soit 5 fois la consommation d'un européen.

Ces sociétés ne s'intéressent guère plus à la qualité des eaux. A Arlit à Akokan comme à Tchirozérine, les eaux dites potables sont contaminées par les nitrates résultants probablement des tirs de mine qui utilisent la nitroglycérine et le nitrate d'ammonium comme explosif. La nappe d'Izegouandane est polluée par des phosphates anthropiques. En 2004, le CRIIRAD démontrait, sur les eaux des villes d'Akokan et d'Arlit, l'existence d'un dépassement de facteur 10 de la norme radioactive alpha de l'OMS.
Par ailleurs, par mesure d'économie, les eaux usées des villes minières, chargées de coliformes fécaux et surtout de Salmonella typhi, sont utilisées « sans traitement » pour l'irrigation de maraîchage. Des alertes sanitaires ont été déclenchées par le Ministère de la Santé du Niger et, malgré cela, la typhoïde est devenue endémique dans la région.

Quel avenir ?
Même en ne tenant pas compte des besoins en eau des derniers permis de recherche délivrés, les simulations prévisionnelles du PNUD indiquent que l'on peut s'attendre en 40 ans au dénoyage complet de la partie ouest de l'aquifère (annexe 08) et prévoir la chute drastique du niveau piézométrique du coté oriental.
Les points constitutifs du réseau d'abreuvement du bétail pastoral puits et sources (cure salée) seront asséchés et les éleveurs privés d'eau. Le processus de tarissement général privera les villageois de tout approvisionnement. De plus à l'ouest et vers le sud à In Gall, des dépôts importants de chlorure de sodium du Jurassique, risquent de se déverser dans la nappe d'eau douce et de la contaminer par inversion du gradient hydraulique.
Mais les compagnies minières ne s'inquiètent pas de cette catastrophe prévisible car les gisements d'uranium auront été également épuisés et la région ne présentera plus d'intérêt pour elles et leurs actionnaires. La disparition du capital en ressources naturelles au profit d'une activité minière éphémère et non durable qui ne représente que 2% du PIB nigérien, signera la fin de deux savoir-faire autochtones et stratégiques: le tourisme (2,7% du PIB) et l'élevage pastoral (14% du PIB).

Si la société civile et les pouvoirs publics nigériens ne réagissent pas rapidement, dans un avenir proche la ville d'Agadez, capitale émergente et sultanat de l'Aïr, sera désertée par manque d'eau et toute forme de développement humain et durable abandonnée.



* Analyses effectuées par l'AIEA de Vienne
** Les ressources en eau du Sahel, études hydrogéologiques et hydrologiques en Afrique de l'Ouest par les techniques isotopiques. Projet RAF/8/012, AIEA/TECDOC-721, pp. 187-199, Vienne, Autriche.


Références :
- Les nappes aquifères à l'Ouest de l'Aïr : la nappe des grès d'Agadez, étude prévisionnelle d'exploitation et modèle mathématique. PNUD/DCTD-NER/86/001 & MHE/DRE, 1990, 26p.
- Paléo-recharge des aquifère de la bande subdésertique des Ténérés et de l'Aïre (Niger). Une approche critique de la méthode de datation au C14. A. Joseph, 1989, Palaeoecology of Africa and the surroundings islands, vol. 20, pp. 19-35.
- Eléments pour la carte hydrogéologique du bassin de l'Irhazer, Niger. Dodo A., et Bouzelboudjen, M., 1992, Hydrogéologie, 1, pp. 59-68.

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